Un beau coup de Sherlock Holmes

From The Arthur Conan Doyle Encyclopedia

Un beau coup de Sherlock Holmes (A Nice Move from Sherlock Holmes ) is a French article written anonymously by Shamrock published in L'Intransigeant (No. 13384) on 6 march 1917.

The article is not really a pastiche. Sherlock Holmes is used to illustrate a political scandal about German spies in America.


Un beau coup de Sherlock Holmes

Un beau coup de Sherlock Holmes
(L'Intransigeant, 6 march 1917, p. 1)

Autour de la guerre

On ne sait vraiment ce qu'il faut admirer davantage chez ces bons Allemands, de leur duplicité ou de leur naïveté.

Ils apprennent par les échos du Congrès de Washington que la petite machination inventée par Zimmermann est éventée et que les éclats en reviennent comme ceux d'une bombe mal faite sur le brigand qui a lancé ce grotesque projectile :

Là-dessus, ils ne se disent pas :

- Nions ! Séparons-nous de ce dangereux imbécile !

Non. Ils font cercle, ils s'interrogent les uns les autres avec une candeur que l'on a envie de qualifier d'enfantine. Et les nez s'allongeant à la mode du Kronprinz, on se demande entre soi :

- Comment un document si secret a-t-il bien pu tomber entre les mains de ce Wilson ?

Je n'invente pas : cette question-là, les journaux d'outre-Rhin se la posent avec un désarroi qui atteint le comique. J'ai même découvert une gazette, en Saxe, qui s'élève encore plus haut dans le cynisme national.

Dans un élan d'indignation — elle n'est pas feinte — cette feuille germanique s'écrie :

- Comment le président Wilson, qui pose pour l'honnête homme, a-t-il osé se servir d'un document très confidentiel qui n'a pu arriver dans ses mains que par une voie inavouable ?

Notre confrère le New-York Herald fait connaître la part heureuse qu'il a eue dans cette transmission de la vérité. Naturellement, il ne nous dit pas comment il s'y est pris pour surprendre et prendre — puisque prendre il y a — et prendre l'ennemi la main dans le sac.

Je ne serais pas surpris que l'Angleterre ait été la collaboratrice de cette opportune habileté. Depuis le début des hostilités, elle a été particulièrement adroite dans la façon dont, sur le territoire américain, elle a fait la guerre à la propagande allemande.

Il existe aux Etats-Unis une gazette — elle s'appelle le Journal de Providence, du nom de la ville où elle est imprimée. Avant la guerre, cette feuille n'était guère lue que dans les limites de l'Etat de Rhode Island, où elle a sa clientèle particulière. Subitement, on s'est avisé que le Journal de Providence avait l'air de recevoir du Ciel même les informations saisissantes que toute la presse américaine était bien obligée de reproduire.

Les procédés les plus secrets de la propagande allemande y étaient démasqués par des rédacteurs perspicaces qui n'avançaient rien sans preuves.

Bernstorff, d'abord dédaigneux, se trouva dans la nécessité de répondre. Il répondit mal, tel aujourd'hui Zimmermann.

Tout le monde sait à cette heure d'où est, venu au Journal de Providence’ ce renfort de reporters géniaux.

Sherlock Holmes lui-même a passé la Mer.

Au printemps, de l'année dernière, il a trahi sa présence par un merveilleux coup d'audace.

Un des principaux agents de la propagande allemande se rendait, un samedi soir, à Long Islang, où Bernstorff prenait ses quartiers d'été. Il était porteur d'un dossier volumineux enfermé dans une serviette.

A la station du Pensylvania, ledit propagandiste se penche par la fenêtre de son taxi afin d'appeler au secours de ses bagages un porteur nègre. Pendant qu'il tourne le dos, par la fenêtre opposée, une main se glisse dans le taxi. Elle saisit sur le coussin la serviette de maroquin et, quand l'agent allemand se retourne pour mettre son dossier sous son bras, il pousse un cri de terreur.

Sherlock Holmes venait de le dépouiller !

Qu'y avait-il donc dans cette précieuse serviette ?

Le terme argotique dont les journaux américains se servirent pour qualifier cette prise pourrait se traduire par ce mot bien français : « Du nan-nan ! »

C'était ce qu'on trouvait alors dans les poches de tous ces agents allemands : de compromettants reçus qui étaient la preuve de vilaines corruptions, des comptabilités régulièrement tenues où apparaissait le prix dont en avait payé les faux témoins, les incendiaires d’usine à munitions, les promoteurs de grèves, les poseurs de bombés dans les cargos qui allaient prendre la mer, les violations de télégraphie sans fil — voire les subsides versés à des assassins.

Le dossier du propagandiste fut porté à Washington, et Washington stupéfait s'écria :

- Vraiment, c'est trop ! Mais je ne puis faire état de documents qui me sont apportés dans des conditions si anormales. Le fait que l'on viole envers nous notre loyale hospitalité ne nous autorise point à répondre par une incorrection à de si abjectes manoeuvres. Les agents qui s'y livrent ne sont pas officiels.

Sherlock Holmes répondit :

- Soit ! Mais moi ? Je ne suis pas tenu aux mêmes scrupules. Je vais donc commencer dans un journal bien Iu la publication de quelques-unes de ces trahisons. Nous verrons si le Bernstorff criera : « Au faux ! »

Naturellement, Bernstorff protesta. Il le fit avec son effronterie congénitale et allemande. Il annonça un procès. L'Allemagne y serait partie plaignante...

La publication continua, le procès ne fut pas ouvert. Et Washington, l'honnête Washington, fut édifié.

Berlin s'était souvenu du propos de M. Lansing sur les documents dont on ne peut faire état à cause de leur provenance suspecte. D'où l'indignation qui se traduit aujourd'hui par cette stupéfaction :

- Comment Wilson a-t-il osé ?

Berlin oublie que si le propagandiste de la station de Pensylvania n'était pas « personne officielle », Zimmermann l'est, où qui la sera ?

Washington est, comme toujours probe et logique.

Quant à Sherlock Holmes, il vient d'ajouter à ses mémoires un chapitre qui fera la fortune de ses éditeurs.


Shamrock