Avec M. Conan Doyle et ses Anges

From The Arthur Conan Doyle Encyclopedia

Avec M. Conan Doyle et ses Anges (With Mr. Conan Doyle and his Angels) is an interview of Arthur Conan Doyle written as an article (in French) by Raymond Millet published in Les Annales Politiques et Littéraires No. 2204 on 20 september 1925.


Avec M. Conan Doyle et ses Anges (FR)

Les Annales Politiques et Littéraires
(20 september 1925, p. 299)

Si vous connaissez des adeptes du spiritisme, demandez-leur quel a été l'événement essentiel de la semaine passée. Ils répondront :

- Le Congrès !

- Le Congrès de Genève ?

Eh! non, celui des spirites.

Il s'est tenu dans un hôtel privé de la rue Copernic (le chanoine polonais savait-il que les esprits de nos morts habitent ses planètes?). Dans ce temple ésotérique, mais accueillant, fidèles, néophytes et curieux ont goûté des concerts qu'on pourrait qualifier ou spirituels ou « surréalistes », si ces deux adjectifs n'étaient réservés ; disons donc « musique transcendante », en faisant violence à la modestie de M. Pascal Forthuny, poète et compositeur, apôtre persuasif et, par sa science comme par sa courtoisie, mandarin.

- Il m'est apparu cette nuit. Femme, a-t-il dit, je suis ton fils et je suis né pendant la révolution.

La dame âgée qui haletait en murmurant ces mots venait de s'asseoir sur une chaise providentielle, au seuil du musée spirite. On lui donna des sels. Comme je suggérais qu'elle serait mieux à l'infirmerie spéciale, mon voisin me regarda sévèrement :

- Nous ferons d'elle, me dit-il, un excellent médium.

J'entrai dans le musée. J'aspirais à des visions hallucinantes. Je n'ai trouvé que de gracieuses enluminures élaborées par un mineur auquel des voix ont commandé de peindre ; puis, des photographies de premières communiantes, de jeunes femmes en robe d'hyménée, d'enfantelets joufflus, de fées anglo-saxonnes et de fantômes puérilement macabres. Des yeux ont vu ces apparitions que la découverte de Niepce et de Daguerre a permis de fixer pour les yeux qui ne les verront jamais.

Jamais ? Qui sait ! Les Messieurs de Port-Royal ne savaient pas que la théorie de la grâce serait reprise par les spirites. « Moi non plus je ne croyais pas et je dis maintenant qu'il est absurde de ne pas croire. » Telle est la profession de foi de tous ceux qui, en pleurant sur la tombe fraîchie d'un être cher, ont vu soudain le visage du disparu et entendu sa voix. Leurs larmes se sont taries ; un baume a guéri leur blessure. La douce image ne les a plus jamais quittés et les lèvres toujours vivantes n'ont pas cessé de murmurer : « Je suis avec toi. »

Cette consolation, la providence l'a ménagée à un célèbre romancier : sans elle, sir Arthur Conan Doyle eût suivi son fils dans la mort. Il cause aujourd'hui avec plusieurs de ses amis et de ses parents qui ont quitté la terre. Il a publié sa foi dans le nouveau monde et dans l'ancien. Sa présence au Congrès des spirites a provoqué celle de nombreux sceptiques. Mais le père du positiviste Sherlock Holmès n'a pas apporté les preuves « positives » qu'il avait promises : les projections cinématographiques qui ont suivi sa conférence ont déçu jusqu'aux croyants ; l'opérateur était maladroit, paraît-il.

Le célèbre romancier a bien voulu me donner quelques éclaircissements pour les lecteurs des Annales. Inclinant avec bienveillance sa haute taille et son visage vénérable, il a patiemment écouté mes questions. Puis, scandant les mots à la manière anglaise et donnant ainsi plus de poids à ses affirmations :

- Les Français, m'a-t-il dit, n'ont pas toute l'incrédulité qu'on leur attribue. D'abord, ils sont, pour la plupart catholiques ; cette condition n'est pas indispensable : j'étais, naguère, libre penseur. Mais catholiques ou mécréants, ils ont l'esprit ouvert ; ils comprennent même quand ils n'essaient pas de comprendre. Chez vous, plus qu'ailleurs, la victoire nous est assurée. Dois-je vous citer Camille Flammarion, le professeur Charles Richet ?

- La conversion des savants semble à la foule moins frappante que la vôtre.

- Oh ! moi, je n'ai plus un doute. Sentez-vous l'abîme qui sépare une opinion d'une certitude ? La foi est un état d'esprit moins puissant que ma croyance. « Ils ont des yeux et ils ne voient pas, des oreilles et ils n'entendent pas. » Mes yeux ont vu, mes oreilles ont entendu : je ne crois pas, je sais.

On ne peut que s'incliner avec respect devant une conviction aussi profonde, d'autant plus qu'elle a brisé le cadre de l'égoïsme : sir Arthur Conan Doyle, délivré de la douleur de son deuil, a vu bientôt dans le spiritisme la base scientifique d'une religion, d'une esthétique et d'une morale qui, si j'ai bien compris, forment autant de traits d'union entre le catholicisme et l'église réformée.

- La philosophie matérialiste, m'a dit le célèbre romancier, est à l'origine des scandales privés ou publics, des guerres injustes et de presque tous nos maux. Nous deviendrions meilleurs si nous étions sûrs que nous aurons à rendre compte de nos actions. Certaines religions ont pu nous inspirer de la crainte ; mais, égarées dans les trivialités, elles ne nous permettent plus de communier avec le monde supérieur. Les spirites ont rétabli le contact, si j'ose dire. Ils communiquent avec l'intelligence centrale, grâce...

- Aux médiums ?

- Non, grâce aux anges. Les anges sont des spirites supérieurs. Ces messagers de l'au delà sont parfois grossiers : c'est que nous les y forçons.

- Voilà donc pourquoi Napoléon Ier et Victor Hugo disent tant de sottises, par le truchement des tables fouinantes.

- Nous n'avons que les anges que nous méritons. Il faut mériter les meilleurs, parce qu'ils nous transmettent les messages divins.

- Et aussi les messages des morts ?

A ce mot, sir Conan Doyle tressaillit et, sans aménité, s'écria :

- Les morts ? Pauvre homme que vous êtes! Ceux que vous pleurez ou que vous ne pleurez plus vivent comme vous.

- Pardon... Vous disiez, maitre, que l'angélisme...

- Les morts !... Mais c'est vous qui êtes mort !

Ma confusion se trahit — comme il est d'usage — par une maladresse : je laissai tomber le livre qui avait enchanté, tout le jour, mes voyages en autobus ; il s'échappa de la liseuse et le titre apparut : La Révolte des Anges. Sir Conan Doyle le vit, ce titre ; et parce que l'humour peut fraterniser avec l'ironie française, nous sourîmes l'un et autre.

- Le hasard aime les contrastes, dit le romancier d'une voix plus calme.

Je ne pus me défendre de répondre :

- Il serait curieux, maître, que vous pussiez disputer des anges avec les mânes d'Anatole France.

- Je crois que nous ne réussirions pas à nous entendre !

Et, en me donnant un vigoureux shake-hand, sir Arthur Conan Doyle rit largement, à l'anglaise.