Conte à dormir debout

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Conte à dormir debout (Tall Tale) is a French Sherlock Holmes pastiche written by Fédor published in Le Midi Socialiste (No. 838) on 13 april 1911.


Conte à dormir debout

Conte à dormir debout
(Le Midi Socialiste, 13 april 1911, p. 1)

« Sherlock Holmes est dans nos murs. Le célèbre détective a débarqué, hier, à Calais, camouflé en corbeille à papiers et est passé inaperçu au milieu de la foule qui lui a fait une chaleureuse ovation... »

Je puise ces troublants détails dans une petite feuille du Nord-Ouest et je vous la communique in extenso.

Que vient donc faire chez nous le merveilleux policier de Conan Doyle ? Quel inextricable écheveau vient-il débrouiller ? A la poursuite de quel bandit est-il lancé ? Mystère et chevaux de bois !

Mais, comme je suis curieux en diable, je n'ai pu tenir longtemps en l'état de perplexité où m'avait jeté une pareille nouvelle et je n'ai fait qu'un saut de mon entresol dans les bureaux de la Sûreté.

Hélas, à la Sûreté, on ne savait rien de la venue de Sherlock Holmes. A la Préfecture de police c'était itou.

Alors j'ai couru tous les minisières !

J'avais quelques chances de découvrir le détective au Quai d'Orsay, à cause de l'affaire Rouet-Maimon et Cie, mais on ne l'avait pas vu. Au Palais on était sur les dents : le nom du marquis de Roquefeuil était dans toutes les bouches, mais celui de Sherlock n'y était pas.

Je pris le métro dans lequel on rencontre tant de monde que mon policier aurait bien pu s'y trouver. Ce fut en pure perte. Soudain, je pensai qu'il suivait peut-être la piste du milliard des congrégations et à cette idée je restai blême et muet. Je ne songeai même pas à me mettre à la poursuite du policier car où cela aurait-il pu m'entraîner ?!

Alors je réintégrai péniblement mon logis. Là, dans le calme de ma chambre, je refléchissais amèrement à l'inutilité de mes recherches lorsque l'idée me vint de procéder comme Sherlock Holmes lui-même, c'est-à-dire par déduction. Et cela me réussit à merveille.

Entre autres questions je me posais celle-ci :

- Pourquoi Sherlock s'est-il camouflé en corbeille à papiers ?

- C'est apparemment — me répondis-je — qu'il veut retrouver quelques pièces, quelques documents assez curieux qu'une main cruelle est sur le point de jeter au panier si ce n'est déjà fait.

- Quels peuvent être ces documents et quelle peut être cette main ?

Je passai en revue toutes les mains, célèbres, celles de M. Claretie qui fourrent au panier les meilleures pièces, celles de Lacour qui flanquèrent des giffles à M. Briand et tutti quanti.

Pareillement je me rappelai tous les documents, tous les dossiers d'un intérêt assez sérieux qu'on aurait pu faire disparaître ou qu'on aurait oubliés dans quelque carton et j'en vins à penser qu'il ne pouvait être question que du dossier du Councours des chansons de route dont on n'a plus ouï parler.

Je ne me trompais pas.

Dans les bureaux du ministère de la guerre où je me rendis sur le champ, je rencontrai la fameuse corbeille en laquelle M. Berteaux ne soupçonnait certes pas le célébre Sherlock. Et soudain la corbeille, regorgeant de documents que le nouveau ministre de la guerre jugeait encrombrants pour son cabinet, tels par exemple : le nouveau plan de mobilisation, le chiffre des communications secrètes et autres balivernes, soudain, dis-je, la corbeille glissa sur le plancher, enfila la porte, descendit l'escalier au bout duquel, estimant sans doute que son déguisement n'était plus nécessaire, elle se transforma en Sherlock Holmes en personne.

Vous jugez de mon étonnement ! Je croyais vivre un conte des « Mille et Une Nuits ». Cependant je ne perds pas la tête et j'interviewai carrément le policier :

- Eh bien, lui dis-je ?

Avec son amabilité habituelle Sherlock s'empressa de ne pas me répondre, mais dans le tas de documents qu'il avait rapportés, je le vis s'emparer d'une volumineuse enveloppe de deuil, bourrée à crever, sur laquelle on avait tracé, au crayon rouge, cette inscription : Concours de chansons de route.

Comme le roi Omar-al-Neinan, cette découverte me transporta à la limite de la jubilation.

Décidément j'avais du flair et je me flattais de ma perspicacité ; mais résolu à faire parler le policier je revins à la charge.

- Eh bien, dis-je ?

Mon insistance lui déplut car je le vis se fondre peu à peu, disparaître à mes yeux en même temps qu'un fort coup de vent fermait brusquement la porte... Pour échapper a mes questions Sherlock s'était camouflé en « courant d'air ! »

Tout en admirant la puissance de cet homme, je ne me démontai pas et je me baissai vers le tas de papiers qu'il avait laissés sur le sol. Je le triai soigneusement et je fus pour la seconde fois transporté à la limite de la jubilation. Je venais de mettre la main sur le brouillon d'une lettre du défunt Ministre à un de ses amis et cette lettre explique clairement que les résultats du fameux concours ne verraient jamais le jour.

Elle se terminait par ces mots : « Je laisse à mon sucesseur le soin de prendre une décision à l'égard du Concours des chansons de route. Quant à moi j'en scelle le dossier dans une enveloppe mortuaire pour bien montrer aux concurrents qu'ils peuvent en faire leur deuil ».

Et la decision de M. Berteaux vous la connaissez, n'est-ce pas, ô chansonniers, nos amis ?

L'enveloppe mortuaire, il l'a fourrée au panier ! Mais ne perdez pas tout espoir de voir un jour votre labeur récompensé, rappelez-vous, en effet, que Sherlock Holmes a pris en mains vos intérêts et Sherlock a le bras long.

FEDOR.