L'Oeil du spectre

From The Arthur Conan Doyle Encyclopedia

L'Oeil du spectre (The Eye of the Spectre) is a French short story written by Sigismond Gondrin published in L'Ouvrier (No. 1928-1932) from 8 to 22 july 1896.

The pastiche is sub-titled Imité de Conan Doyle (Imitated from Conan Doyle). The action takes place in the Sasassa Valley in reference to Arthur Conan Doyle's short story The Mystery of Sasassa Valley (1879), which means that this is probably the first pastiche of a non-Sherlock Holmes story.


L'Oeil du spectre (French text)

L'Ouvrier (8 july 1896, p. 158)
L'Ouvrier (8 july 1896, p. 159)
L'Ouvrier (8 july 1896, p. 160)
L'Ouvrier (15 july 1896, p. 174)
L'Ouvrier (15 july 1896, p. 175)
L'Ouvrier (22 july 1896, p. 190)
L'Ouvrier (22 july 1896, p. 191)

Imité de Conan Doyle

- Mes enfants, dit M. Loisel a ses deux fils jumeaux, Lionel et Raymond, qui venaient d'achever leur service militaire, grâce à Dieu, vous voilà en règle avec la patrie qu'allez-vous faire maintenant, car il est grand temps de songer à votre avenir ? Je vous ai donné une éducation aussi complète et aussi solide que le comporte l'enseignement actuel, je n'ai reculé devant rien pour faire de vous des hommes réellement honnêtes, ce qui veut dire de bons chrétiens.

« J'ai dépensé trente mille francs net pour chacun de vous, ce qui réduit mon avoir à deux cent mille francs environ. Or, vous devinez que je ne veux pas faire pour vos soeurs moins que pour vous. Elles sont trois et ne pourraient, comme vous, gagner leur vie par leur travail. Je leur partagerai donc ce qui me reste, afin de les marier et de leur assurer le pain et le concert. C'est de toute justice. Vous n'avez aucun droit moral à venir au partage de ma succession, si vous y possédez un droit légal incontestable ; mais je prendrai les mesures nécessaires pour tourner, en cette occasion, les exigences de la loi au profit de celles de ma conscience. J'ai gagné ma petite fortune à la sueur de mon front, je suis maître d'en disposer à mon gré et je le fais, sûr du reste de votre approbation, car vous êtes l'un et l'autre, je le sais, de braves garçons. Je n'ai perdu ni mon argent ni mes peines avec vous, ou plus exactement, Dieu a béni à votre égard mes efforts et ma bonne volonté : il a daigné prendre la première place dans vos âmes : dès lors, je suis tranquille a votre sujet. Ne gênez point, en vous l'action du Père céleste et tout ira bien.

« Ceci dit, revenons à votre avenir sur la terre, mes enfants ; voyons, que comptez-vous faire ?

- Donnez-nous votre avis, mon père, dit Lionel.

- Volontiers. Les carrières libérales et administratives, en France, ont dix candidats par place ; il faut aujourd'hui, pour faire son chemin par ces voies, être une étoile ou un coquin.

Les deux jeunes gens sourirent.

- Coquin, cela n'est point votre affaire, reprit M. Loisel, riant aussi ; laissons de côté cette première hypothèse, reste la seconde : étoile ! Eh bien, sans vouloir vous froisser, mes amis, je pense qu'il faut écarter la seconde comme la première, car il serait fort risqué de compter sur sa réalisation, je ne vous le cache pas. Vous avez fait de bonnes études, j'en conviens, mais cela n'implique pas du tout que vous soyez des supériorités. Au collège, jeunes gens, on n'apprend qu'à apprendre ; plus vous avancerez dans la vie, mieux vous vous en rendrez compte.

- L'industrie ? le commerce ? interrogea Raymond.

- Pour entamer sérieusement quelque chose dans cet ordre-là, Raymond, répondit son père, du moins en France, il faut pouvoir disposer de capitaux. Le cas est exactement le même pour l'agriculture ; sans une première mise de fonds relativement importante et sans une provision à titre d'arrière-garde, pour parer aux éventualités, il ne faut pas même y songer.

- Et les arts ? interrogea timidement Lionel.

- L'art n'est pas un métier, mon enfant, c'est une vocation et, à mon sens, vocation oblige ; mais il ne faut pas plus tenter les hauteurs de l'art que celles du sacerdoce, sans avoir la certitude d'y être appelé et sans être prêt à lui l'aire, sans marchander, la totalité des sacrifices qu'il exigera. Arrière, ici, les subterfuges de la vanité ! quiconque aspire à de tels sommets, sans être réellement dévoré du feu divin, est un idiot ou un fou.

- Je vous en prie, mon père, donnez-nous votre appréciation sur l'artiste et sur l'art ? demanda un des jeunes gens.

- Avec plaisir. Mais comment m'y prendrai-je pour être bref et clair ? Je vais faire de mon mieux, mes amis ; veuillez me prêter toute votre attention.

« L'artiste a reçu de Dieu des dons spéciaux pour contribuer à faire connaitre et aimer la vérité ; par suite, il est investi d'une mission, et vous voyez que je n'avais pas tout à fait tort en vous présentant l'art comme une sorte de sacerdoce.

- Je ne vois pas trop, mon père, comment l'artiste peut atteindre ce but ; car, enfin, la vérité n'a ni corps ni figure, pour employer le langage du catéchisme, elle ne tombe pas sous les sens, elle est purement spirituelle, et l'oeuvre de l'artiste est une oeuvre matérielle qui frappe nos regards ou notre ouïe.

- Sans t'en douter, tu me viens en aide par ton objection, Lionel. C'est justement parce que la vérité n'a rien de matériel que l'homme ne peut la contempler sur la terre qu'à travers un revêtement. Eh bien ! ce revêtement, lorsqu'il a de l'éclat, de la splendeur, qu'il se manifeste avec une sorte de reflet lumineux, qu'il met notre âme en contact avec le vrai, qu'il le fait saisir, admirer, aimer, c'est la splendeur du vrai, c'est le beau, fixé en un point par l'artiste : c'est l'art.

« Aussi, mes enfants, malheur à l'homme qui profane en lui le génie de l'artiste, oublie qu'il est tenu de toujours choisir un sujet honnête, d'écarter impitoyablement de son exécution tout ce qui peut blesser la pudeur et la vertu. Malheur à lui, car il répondra devant Dieu de toutes les passions mauvaises qu'il aura éveillées ou surexcitées par son œuvre, et ses passions s'élèveront un jour devant lui, clameur terrible requérant de la justice divine une condamnation sans appel.

Un court silence suivit, pendant lequel chacun semblait peser ces dernières paroles.

- N'allez pas inférer de ce que nous venons de dire, mes amis, reprit M. Loisel, que votre père place sur un même rang l'art et le sacerdoce. Ah ! non, par exemple ; quoique j'aie avance que l'une comme l'autre de ces voies impliquait la nécessité de la vocation et que « vocation » pris dans son sens propre signifie voie de Dieu, d'où « vocation oblige ».

- Voulez-vous développer un peu votre pensée, père ? demanda Raymond.

- Je ne demande pas mieux, mes enfants. Saint Augustin nous enseigne, d'après les Saintes Lettres, que Dieu ne peut pas nous sauver sans notre concours ; c'est-à-dire que notre salut implique la participation de notre volonté par la correspondance à la grâce ; d'où il ressort, avec évidence, que nos destinées éternelles dépendent, d'une part, de la grâce de Dieu, et, de l'autre, de l'usage que nous faisons de notre liberté en ce qui la concerne. Plus la grâce divine est abondante en nous, plus, nécessairement, nous avons en notre pouvoir les moyens de conquérir la patrie éternelle, or, lorsque nous sommes dans notre vocation, dans la voie voulue de Dieu pour nous, nous recevons avec surabondance tous les secours de la grâce, nous en sommes, en quelque sorte, saturés.

- Je n'aime pas celle manière de parler, mon père : « Dieu ne peut nous sauver sans nous. » Dieu peut ce qu'il veut et rien, à coup sûr, ne gêne son bon plaisir, dit Lionel.

- Tu erres dans ce cas, mon fils. si les révérends pères de la Compagnie de Jésus qui t'ont élevé t'entendaient, ils n'en reviendraient pas, et voici ce qu'ils te répondraient : Dieu respecte souverainement la liberté de choisir entre le bien et le mal qu'Il a donnée à l'homme afin que ses actes puissent être méritoires. Il s'est engagé à le secourir par sa grâce, mais cette grâce lui est généralement donnée dans la mesure du bon accueil qu'il lui fait.

« Vocation oblige, disais-je tout à l'heure, ce qui peut se traduire simplement comme suit : refuser la grâce spéciale de la vocation, c'est tout uniment s'exposer à ne pas recevoir assez de grâces pour bien faire dans une autre voie, c'est faire le plus dangereux usage de sa liberté. Tout le monde parle de liberté, aujourd'hui, et bien peu de gens savent ce qu'ils disent en en parlant. Si on voulait bien remonter à sa source et se pénétrer de son sens véritable, on ne commettrait pas tant de crimes en son nom. Toujours est-il que l'homme ne porte pas en lui de plus bel apanage que celui-là, puisque Dieu lui-même s'interdit d'y contredire.

- Le journalisme, mon père, constitue actuellement une carrière, c'est un terrain fertile et un peu à la portée de tous, reprit Lionel. La presse n'est-elle pas la maitresse de l'opinion et l'opinion n'est-elle pas la reine du monde â cette fin de siècle ?

- Le journalisme ! s'écria M. Loisel en se levant vivement. Le journalisme ! une des plaies les plus dangereuses de notre époque, n'y touchez pas, n'y touchez pas, jeunes gens. Les fouilles qui corrompent le coeur ou l'esprit sont les seules qui aient un succès d'argent aujourd'hui, et vous avez votre fortune à foire. Un publiciste réellement honnête en est réduit à végéter au peint où notes en sommes ; n'y songez pas, car pour ne point mourir de faim, vous seriez trop exposes à devenir un jour où l'autre des empoisonneurs publics. Je ne veux pas d'un pareil danger pour vous, mes enfants, je n'en veux pas. D'ailleurs, le journalisme catholique dans toutes ses branches rentre, jusqu'à un certain point, dans le sacerdoce et, je vous l'affirme, en dehors de toute question de gain et de fortune, il n'y faut pas toucher sans de sérieuses études préalables, il n'y faut pas toucher sans y être appelé.

- Mais alors, mon père, je crois qu'il ne nous reste plus qu'à nous pendre, dit en riant Lionel.

- Ne plaisante donc jamais en matière de suicide, mon fils, cela est hors de place.

- Voyons, père, indiquez-nous un chemin qui vous paraisse lion à. suivre, je vous en prie, dit Raymond, car je ne vois pas trop ce que nous pourrions entreprendre, ou ce qui nous reste à faire.

- Il vous reste à avoir du courage, une volonté intelligente qui brise, tourne ou renverse tous les obstacles, une activité que rien ne lasse, une initiative sage et hardie à la fois. Il vous reste, enfin, à faire métier d'hommes dans le sens noble et chrétien de ce mot. Il vous reste à partir pour les colonies, à y porter les bienfaits de la civilisation, à profiter de terrains neufs, de situations neuves, à découvrir, à édifier, à produire, à vous enrichir honnêtement.

L'avis était sage, mais il comportait pour son exécution de grands sacrifices. Quitter la patrie, quitter la famille implique de véritables et profonds déchirements auxquels le coeur a bien de la peine à se soumettre. Accepter l'éloignement de ses fils avec la perspective de ne jamais les revoir ici-bas, sans oser nourrir même l'espérance qu'ils viendront recevoir votre dernière bénédiction et fermer vos yeux, c'est une des plus rudes épreuves qui puissent atteindre un père sur cette terre que l'Eglise, dans ses chants liturgiques, appelle si justement une vallée de larmes.

M. Loisel et ses fils, quoiqu'ils fussent virils comme doivent l'être des hommes, eurent à soutenir un grand et long combat contre eux-mêmes avant de s'arrêter définitivement au projet d'émigration proposé par le père de famille. Bien des larmes furent versées par les uns et par les autres, ouvertement ou dans le secret du coeur, mais enfin, la résolution de Raymond et de Lionel devint irrévocable, et de ce jour, ils envisagèrent l'avenir moins péniblement. Peu à peu même, ils en vinrent à penser plus souvent aux bons qu'aux mauvais côtés de leur entreprise : ils espérèrent pouvoir revenir en France tous les deux ans, pour se retremper pendant quelque temps dans la douce et saine atmosphère de la famille, voir de près le bonheur de leurs soeurs, recevoir encore les précieux avis de leur père.

M. Loisel avait fortement conseillé à ses fils de jeter leur dévolu sur l'Afrique du sud, qui lui paraissait, offrir des chances de fortune supérieures à celles des autres contrées exploitées par les pionniers européens. L'avis du père fut, partagé par les fils ; ils s'embarquèrent, le coeur bien gros, après des adieux bien émus, un soir d'été, pour le Transvaal.

La lune brillait, radieuse dans un ciel de saphir que n'eût pas désavoué l'Orient; les deux jeunes gens restèrent longtemps sur le pont, ne pouvant détacher leurs regards de la terre de France qui, peu à peu, s'effaçait dans la nuit. Le dernier point qu'ils aperçurent au rivage fut un monticule que surmonte une immense Vierge de pierre, objet d'un culte fervent de la part des marins.

- Disons-lui un « Souvenez-vous », murmura Lionel à l'oreille de son frère, en lui montrant le petit mont que la lune argentait de sa lueur.

- De tout mon coeur, répondit Raymond, et tous deux, la main dans la main, récitèrent cette touchante prière de saint Bernard qui rappelle filialement à la puissante Vierge Marie que nul jamais ne recourut à elle vainement.

Les ressources financières des deux émigrants étaient à peu près nulles ; mais ils étaient jeunes, ils étaient instruits, robustes, ils étaient deux. L'espérance, cette force sans laquelle toutes les autres s'émoussent et meurent vite dans l'âme humaine ; les berçait de ses chants magiques, et lorsqu'ils posèrent le pied sur le continent noir, ce fut avec la conviction qu'ils sortiraient vainqueurs de la lutte pour la fortune qu'ils allaient entreprendre sur son sol.

Pendant trois ans entiers, ils travaillèrent de leur intelligence, de leurs mains, sans relâche, sans défaillance, sans succès ! Alors le découragement amer et corrosif essaya de pénétrer dans leurs âmes ; d'abord ils le repoussèrent, indignés, mais peu à peu ce mal terrible, ce dissolvant sans pair, qui n'est en substance qu'un doute de la Providence, réussit à devenir leur hôte presque journalier.

Réduits, depuis six mois, à vivre dans une misérable hutte, voisine de la vallée de Sasassa, où ils exerçaient le métier de vétérinaires, soignant, avec l'aide d'un manuel, les bêtes malades des immenses troupeaux qui sont l'unique richesse de cette contrée, ils en étaient à former des projets de retour en France.

- Si nous avions eu quelques fonds, nous aurions réussi à quelque chose, sans aucun doute, disait tristement Lionel en feuilletant une brochure retrouvée au fond de sa valise. Mais, hélas ! ici comme en France, quoiqu'en pense notre excellent père, on ne fait rien sans argent, rien qu'épuiser ses forces, user sa vie, amasser des déboires, ronger son frein.

- Je ne suis pas de ton avis, répondit son frère ; pour des ouvriers, des hommes possédant un métier, il y a ici des moyens relativement faciles de vivre et d'amasser une petite fortune. Mais, pour des hommes comme nous, visant non seulement à ne pas mourir de faim, mais encore à constituer pour leurs vieux jours deux mille cinq cents francs de rente à leur actif., pour des hommes qui ont un objectif plus vaste et des moyens intellectuels supérieurs à leurs ressources manuelles, il est certain qu'il faudrait disposer d'une somme relativement forte, fût-ce à titre de prêt, car on parviendrait sûrement à la rendre.

- Si nous pouvions faire comprendre cela à notre père, Raymond, il nous prêterait bien vingt-cinq ou trente mille francs, que diable !

- C'est probable ; il faut y songer sérieusement, mais je t'avoue que j'aurai une grande répugnance à recourir à ce moyen ; attendons encore.

- Attendre, attendre, mon cher, c'est bon à dire, mais le temps court et on ne le rattrape pas ; puis, enfin, attendre sans espoir, c'est une duperie stupide.

- Lionel, ce qui est une duperie stupide, c'est de désespérer, permets-moi de te le dire, car c'est cesser de compter sur Dieu.

- Ah! elle est bonne, celle-là, s'écria Lionel en secouant ironiquement la tête, il faut bien voir ce qui est pourtant, et inférer l'avenir de ce qu'on connaît.

- Mon cher ami, reprit Raymond, tue l'espoir dans une âme et aussitôt tu verras mourir son initiative, son courage, ses efforts. A quoi bon combattre quand on est sûr d'être écrasé ? Pourquoi se défendre si l'on est certain d'être vaincu ? Laisse donc l'espérance, ce bel oiseau qui porte en lui le secret de toutes nos prouesses, voler à tire-d'aile au lieu de t'évertuer à lui arracher une à une toutes ses plumes sous prétexte de raison. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. La fortune, qui s'est moquée jusqu'ici de tous nos efforts, peut nous sourire demain.

- Allons, fil Lionel en haussant les épaules ; tout vient à point à qui sait attendre, n'est-ce pas ? Tu n'aurais pas manqué de m'envoyer ce lieu commun à la tête si je ne m'étais hâté de l'introduire dans ma réponse. Il mit la brochure dans sa poche, prit son fusil et sortit dans l'intention évidente de s'isoler de son frère qui avait, ce jour-là, le don de l'agacer. Raymond ne s'y trompa point et lui cria en le voyant s'éloigner :

- La Providence ne fait défaut qu'à ceux qui cessent de compter sur elle, l'avenir te le prouvera !

Lionel se retourna en maugréant et eu secouant ses poches, pour montrer par ce geste expressif que la Providence les laissait vides. La brochure s'en échappa, il la ramassa et se prit à la lire en marchant à pas comptés, fidèle à l'habitude que lui avait fait contracter son père de ne jamais perdre une occasion d'apprendre, si peu que ce fût.

Le soir, un orage violent éclata tout à coup, le vent faisait rage au dehors et la pluie filtrait à travers la menuiserie sommaire de la porte et des fenêtres.

Lionel jeta rune brassée de bois sec dans la cheminée et alluma un grand feu, devant lequel il mit à cuire un chevreau sauvage qu'il avait tué la ville.

- Voilà un joli temps pour permettre à la chance d'aborder dans cette tanière, dit-il en ricanant.

- Qui sait ? répondit gravement Raymond, l'avenir est à Dieu et Dieu est notre père.

- Ma parole d'honneur, tu es impayable, fit Lionel eu jetant avec colère une nouvelle 'Ache dans le foyer, tu étais taillé pour prêcher des retraites et débiter des proverbes.

- Espérez contre toute espérance ! reprit Raymond.

- Tu n'as pas le sens commun et tu m'agaces.

- Qui vivra verra, mon cher Lionel. La conversation des deux frères fut interrompue en ce point par un grand coup frappé à la porte. Lionel se précipita pour ouvrir et un homme de haute taille, ruisselant de pluie, pénétra dans la cuisine. C'était William Splith, un jeune fermier de la vallée voisine, qui traitait en amis les deux Français.

Natif du comté de Gall, Will, comme on l'appelait amicalement, était venu au Transvaal avec une centaine de mille francs ; il y avait obtenu une concession de terrain importante et faisait, sur une grande échelle, l'élevage des moutons mérinos, avec un réel succès. C'était un robuste gaillard, heureux de vivre, à l'esprit net, ferme, dépouillé de tout préjugé, instruit et joyeux. Les deux frères Loisel l'aimaient beaucoup et le considéraient presque comme un ami.

- Heureusement que j'ai su découvrir votre chaumière dans cette obscurité du diable, s'écria-t-il en secouant de son mieux l'eau dont il était couvert, et venant s'asseoir sur un banc rustique, oeuvre de Lionel, à trois pas du foyer.

Son visage était pâle, l'expression de son regard craintive, ses mains tremblantes.

- Dieu me pardonne ! s'écria Raymond, on dirait, mon cher Will, que vous avez eu peur.

- Et on aurait raison, répondit Seth.

- Vous, peur ? allons donc ! reprit Lionel en riant, n'êtes-vous pas le brave des braves ?

- Je ne suis pas un lâche, je puis le dire, parce que j'ai fait mes preuves en cette matière, mais cela n'empêche pas que je viens d'avoir une fière peur, à telle enseigne que j'en frémis encore.

- Allons, racontez-nous votre affaire, dit Lionel en retournant avec soin son rôti, traversé d'une broche de bois de fer, dont les extrémités reposaient sur les deux chenets bâtis en petits cailloux.

- Je reviens de la ville, ce qui veut dire que j'ai traversé, depuis qu'il fait nuit, la vallée de Sasassa ; or, en la traversant, j'ai vu le fantôme. Lionel resta accroupi devant les flammes, tenant la broche d'une main.

- En voilà une plaisanterie ! fit-il.

- Ce n'est pas une plaisanterie, reprit l'Anglais, mais une chose aussi sûre et aussi certaine que ma présence ici, chez vous, en ce moment.

- Will ! s'écria Raymond avec reproche, car une pareille histoire ne lui paraissait pas devoir être affirmée aussi positivement, même sous forme de plaisanterie. L'Anglais se leva, étendit solennellement la main droite comme pour prêter serment.

- Sur les cendres de mon père, dit-il lentement, je jure que j'ai vu le fantôme, le spectre, le revenant de Sasassa !

Un silence suivit ces paroles. Si Lionel et son frère doutaient toujours de la réalité du fantôme, ils ne pouvaient hésiter à donner plein et entier crédit à la parole de leur ami.

- Racontez-nous cela, Will ? dit Raymond ; puisque c'est sérieux, nous vous écouterons sérieusement, vous pouvez y compter.

- Eh bien ! mes amis, sachez que les nègres du pays assurent qu'un démon aux yeux de feu vient parfois s'asseoir, dans la nuit, sur la roche la plus élevée de l'amoncellement de pierres qui couronne la petite montagne dans les flancs de laquelle le torrent de Sasassa s'est creusé un lit profond. Cet endroit est inaccessible à l'homme : de tous côtés, la montagne, coupée par le torrent, offre des parois dures et lisses, sur lesquelles croissent à peine de-ci de-là quelques broussailles ou quelques arbustes rachitiques. Les naturels ont une terreur folle du fantôme, dont les yeux ardents, disent-ils, boivent la lumière de leurs yeux et les aveuglent. Aussi, dès qu'ils aperçoivent les terribles rayons, ils se hâtent de baisser les paupières et demeurent ainsi, jusqu'au jour.

- Il est sûr dit ironiquement Lionel, que c'est là un moyen précieux de vérifier ce qu'on a vu. Son frère lui fit signe de se taire et pria Will de continuer.

- Je revenais en hâtant le pas, car je sentais l'orage proche, lorsque, à quelques mètres de la montagne partagée en deux par le torrent, j'entendis un bruit formidable qui fit trembler la terre sous mes pieds. Un instant étourdi par cet effroyable vacarme, j'eus quelque peine à pénétrer sa cause : je m'arrêtai net ne sachant pas si je devais avancer ou reculer. Enfin je compris : un éboulement venait de se produire sur la demi-montagne de la rive gauche, celle qui se trouve de ce côté-ci, des pierres de toute grosseur étaient tombées de son sommet à ses pieds, creusant de profondes ornières sur leur parcours. L'une de ces pierres, beaucoup plus grande que les autres, un véritable quartier de roc, avait rencontré dans sa chute la partie de montagne qui occupe la rive droite, s'arc-boutant contre elle à la manière de ces ponts fantastiques appelés dans tous les pays du monde « ponts du Diable ».

« Pendant que je considérais cet étrange mouvement du sol, me disant in petto que le diable aveuglant des nègres n'aurait pu mieux faire, mon regard monta instinctivement jusqu'à la masse rocheuse qui lui sert de couronnement.

« C'est alors qu'un frisson d'épouvante parcourut mon corps. Une lumière vive, intense, à reflets scintillants, brillait au point précis que maintes fois les nègres m'avaient indiqué comme la résidence du démon.

« Je crus à une hallucination, je reculai de quelques mètres, je me frottai les yeux comme un homme qui s'éveille, je parlai haut pour entendre ma voix et m'assurer que je n'étais pas la proie d'un rêve, d'un délire, d'un accès subit de fièvre chaude : la lumière existait, elle ne bronchait pas. C'était une lueur ardente, aux scintillements étranges, telle que je n'en avais jamais vu. Je résolus aussitôt de gravir la montagne dont l'élévation ne dépasse certainement pas deux cents mètres, en utilisant l'éboulement et le pont suspendu, pour parvenir jusqu'au fantôme ; mais juste ne pus me diriger dans l'ombre ; je perdis même peu à peu la juste appréciation topographique du lieu. Le fantôme s'était voilé à mes yeux dès que je résolus de monter jusqu'à lui et que je m'approchai de la base du trône granitique qu'il occupe, comme s'il avait lu dans nia pensée. J'errai pendant plus d'une demi-heure, sans vouloir renoncer à mon plan, puis ; las enfin de tant d'efforts inutiles, je changeai d'avis, revins sur mes pas, envoyant à tous les diables le démon de Sasassa. Instantanément, je le revis comme si une seconde fois il avait lu dans ma pensée.

« Je ne pus m'empêcher de sursauter violemment. Je vous l'avoue sans ambages, le sentais mes jambes trembler sous moi. Je me raidis, cependant, contre cette crainte mystérieuse qui saisit l'homme le plus brave et le plus entreprenant, en présence d'un phénomène relevant de l'ordre surnaturel. Je considérai attentivement cette lueur singulière qui semblait avoir la puissance de pénétrer jusqu'aux derniers retranchements de mon être et de lire à livre ouvert dans ma pensée. Autour de cet oeil de feu, l'ombre était relativement dissipée, ou plutôt cet oeil était entouré d'un brouillard semi lumineux, esquissant vaguement la forme d'un fantôme colossal.

- Vous ne parlez que d'un oeil, Will, dit Raymond, c'est donc un cyclope que ce fantôme ?

- Je n'ai vu qu'un seul foyer lumineux, Raymond, un seul, ayant bien la forme d'un oeil grand ouvert, par exemple. C'est un oeil, on ne peut s'y méprendre, impossible d'en douter.

En ce point de la conversation des trois jeunes gens, Lionel partit d'un éclat de rire si joyeux et si sonore que son frère et l'Anglais en demeurèrent confondus.

- Qu'as-tu donc ? lui demanda Raymond, évidemment ennuyé par cet éclat d'intempestive gaîté ressemblant pas mal à une moquerie de leur ami Splith.

- Vous avez tort de rire, dit gravement le flegmatique Anglais, sur ma parole, il n'y a pas de quoi. Vous faites le brave pour le quart d'heure, mais j'aurais voulu vous voir à ma place.

- Oh ! Will, ne vous offusquez pas de ma boutade joyeuse, je vous en prie, répondit Lionel ; si j'ai ri de si bon coeur, c'est que j'ai tout à coup pensé à cette opinion très répandue qu'une apparition annonce un changement de fortune ; or, un changement pour nous ne petit être que bon et j'irai voir le spectre afin que notre chance tourne du coup. Mais, Will, écoutez-moi, j'ai quelque chose à vous demander, ne me refusez pas.

- Demandez toujours, fit l'Anglais, on verra après.

- Eh bien ! il faut me promettre, m'engager votre parole que d'ici une semaine, huit jours pleins, vous ne parlerez à personne, à qui que ce soit au monde, entendez-vous, de ce que vous avez vu ce soir, afin que les faveurs du cyclope ne glissent pas sur nous pour passer à d'autres ; me le promettez-vous ?

- Volontiers, fit Splith en souriant.

- Voulez-vous m'en donner votre parole ?

- Je vous la donne, Lionel, je ne parlerai à personne du démon de Sasassa d'ici huit jours, c'est dit.

Peu à peu la conversation tourna sur d'autres sujets ; le chevreau était cuit à point : on le mangea, un peu à la façon dont se comportaient en pareil cas les héros d'Homère, et l'Anglais, aux premières lueurs de l'aube, reprit le chemin de son domaine.

Dès qu'il fut parti, Lionel, au lieu de se coucher, se mit à gambader dans hutte eu proie à une surexcitation extraordinaire. Il battait des mains, poussait de petits cris et, venant à son frère, le prenait par les épaules et le secouait fébrilement.

- Décidément, tu es fou, lui dit Raymond d'une voix qui trahissait la crainte d'un malheur.

- Oui, oui, je suis fou, mais fou de joie, frère : le fantôme le fantôme.

- Eh bien ! quoi, le fantôme ?

- Il a rompu pour nous les rêts de la mauvaise chance, nous sommes sauvés, nous sommes riches !

- De grâce, explique-toi, Lionel ; ce que tu dis est si insensé, ton excitation est si évidente que tu me troubles profondément.

- J'ai la plénitude de mon bon sens ; va, ne sois pas inquiet pour ma raison, le mystère de notre changement de situation, je t'en donnerai la clef ce soir ; en attendant, je vais sortir, j'ai à travailler dehors.

- Lionel. Lionel, fit doucement son frère, pourquoi ne pas me dire ta pensée tout entière dès maintenant?

- Frère, répondit Lionel affectueusement, parce que je veux te laisser tout le plaisir de la surprise, mais, afin de chasser toute inquiétude à mon sujet de ton esprit en émoi, je consens à te dire ceci : Raymond Loisel, tu as raison. Tout vient à point à qui sait attendre. Il faut espérer contre toute espérance. L'avenir est à Dieu et Dieu est notre père. Désespérer, c'est douter de sa providence. Enfin, j'ajouterai à cette série de sages conseils, pour qu'elle soit complète, celui que notre père ne cessait de nous donner et qu'il résumait en ces mots : Ne perdez jamais une occasion d'apprendre quelque chose, si peu que ce soit.

Sur ces derniers mots. Lionel prit une hachette, un couteau et sortit.

Il ne rentra qu'à la fin du jour. Il portait sur son épaule un pieu, bien aiguisé à l'un de ses bouts ; sous son bras, divers morceaux de bois ; dans sa main un œuf de la grosseur d'un oeuf d'oie qu'un oiseau assez semblable au flamant pond dans ces parages.

Raymond le reçut avec étonnement. Que pouvait signifier cet étrange bagage ?

- Tiens ce pieu droit et immobile comme s'il était planté dans la terre, commanda Lionel.

Raymond s'exécuta.

- Bien, fit son frère. Maintenant, tu vois que j'ai pratiqué une profonde coupure au sommet de ce pieu et perforé deux trous égaux dans les côtés. Voici deux attelles percées aussi par des trous ; je vais les glisser dans la coupure et, au moyen de cette cheville, qui passe clans les quatre trous, je transforme mes deux attelles en levier d'un genre quelconque. Regarde, je les dresse comme il me plait, je les abaisse de même et je les immobilise à mon gré. Ce n'est pas tout. Voici, maintenant, un oeuf que j'ai très soigneusement vidé en pratiquant fit ses deux extrémités des ouvertures rondes et nettes. Je place cet oeuf au bout de mes deux attelles comme dans une pince ; tu le vois, il tient parfaitement. Les préparatifs sont terminés, mon cher Raymond ; voici leur but. Mon levier ou ma pince, comme tu voudras, place et maintient immobile cet œuf ; j'applique mon œil à l'un des orifices et je suis en mesure, par cette mire improvisée, de déterminer juste le point...

- Où se trouve l'oeil du fantôme? fit Raymond en riant.

- Oui, répondit laconiquement Lionel. Nous irons, ce soir même, déterminer ce point avec une absolue précision.

- Mais dans quel but ?

Lionel prit la brochure qu'il avait emportée la veille, l'ouvrit à une page soigneusement marquée et lut ce qui suit en pesant sur chaque mot :

« Il arrive que des diamants enchâssés dans le roc jettent parfois, dans la nuit, des lueurs plus ou moins précises, » assure la vieille brochure que j'ai retrouvée.

- Un diamant ! un diamant ! c'est un diamant ! cria Raymond, suffoqué parla surprise ; en vérité, Dieu n'abandonne pas les siens !

- Et notre père avait bien raison quand il nous répétait jusqu'à satiété : « Ne perdez jamais l'occasion d'apprendre quelque chose, si peu que ce soit. »

Aussitôt la nuit venue, les deux Frères partirent pour la vallée de Sasassa ; le ciel était pur, sans lune, mais piqué de quelques étoiles.

Ils se rendirent à l'endroit mentionné par Splith dans son récit de la veille, et n'eurent pas de peine à découvrit' du fantôme. Ils constatèrent la parfaite exactitude des détails que leur avait donnés William Splith. Ils établirent leur mire en un point qui permît à celui des deux qui gravirait lu montagne de voir celui qui resterait auprès de l'instrument et guiderait le premier dans ses recherches. Cela fait, ils se mirent à causer sous le regard intermittent du cyclope et il fut convenu que Lionel, muni d'une hache, entreprendrait de faire dès l'aurore la difficile et périlleuse ascension, impossible deux jours plus tôt, c'est-à-dire avant l'éboulement dont Splith avait été le témoin. Une fois sur le sommet, le hardi pionnier chercherait le point précis où se trouvait, dans la masse rocheuse, du fantôme, éteint par l'abondance de la lumière du soleil.

Raymond le suivrait dans tous ses mouvements, agiterait son mouchoir de la main droite quand il s'éloignerait du but, l'agiterait de la main gauche quand il s'en approcherait, el l'élèverait sur sa canne quand il serait parvenu à l'endroit précis.

Les deux frères s'embrassèrent comme au jour d'une séparation, sans en vouloir convenir, sans même y faire allusion : tous deux comprenaient les dangers qu'il fallait surmonter et vaincre pour s'emparer du diamant sur lequel reposaient maintenant toutes leurs espérances d'avenir.

Lionel s'était ceint d'une longue corde pour pouvoir s'attacher, au besoin, à un arbre ou à un roc : sa hachette était suspendue à sa ceinture, il tenait à la main une solide perche à pointe dure et acérée. Il partit aux premières lueurs de l'aube, tandis que son frère, le coeur oppressé, suivait du regard les audacieux efforts qu'il était tenu de faire dès les premiers pas.

L'ascension présenta les plus émouvantes péripéties : sur la surface récemment crevassée de la montagne, des pierres, qui n'avaient pas eu le temps d'adhérer au sol, tremblaient sous les pieds du jeune homme, et, parfois, perdant l'équilibre à son contact, venaient, en roulant avec fracas, tomber dans la plaine. Avec des précautions infinies, niais aussi avec un tranquille courage lui permettant d'user de tons ses moyens, Lionel sautait de roche en roche, se retenant tantôt avec son bâton, tantôt à une touffe d'herbes. Parvenu au point mi le quartier de roc signalé par William s'était abattu sur l'abîme, formant un pont suspendu de six ou huit mètres de largeur, il s'arrêta : un léger frisson passa sur sa chair. A cent pieds sous lui roulaient, furieuses et gémissantes en même temps, les eaux du torrent qui donnait la vie à la plaine. Il était encaissé entre les deux montagnes divisées à pic, somme par l'épée de quelque Roland, Rien de plus sinistre que cet abîme sombre, étroit, profond, d'où s'élevaient des voix de colère et de désespoir.

Le pont du Diable, qui le traversait depuis vingt-huit ou trente heures, était fait d'une seule pierre étroite et coupante, effritée sur les bords, dans laquelle apparaissait une large fente, la traversant en zigzag. Lionel se recueillit un instant, comme pour peser toute l'étendue du danger qu'il allait courir.

- Si cette roche était placée à trois pieds de la terre ferme au lieu d'être à cent pieds au-dessus de cet abîme, éprouverais-je la moindre appréhension à m'engager sur elle ? se demanda-t-il.

- Aucune, fut la réponse qu'il se fit immédiatement à lui-même, et, à titre de commentaire, il ajouta : « Le danger est donc plus apparent que réel, il vient de moi, non de cette roche, que le poids d'un homme ne dérangera certainement pas. Du sang-froid, pas de nerfs, arrière le vertige et passons.

Lionel se signa, recommanda son âme à la Vierge Marie, puis, bravement, tranquillement, il posa le pied sur le pont suspendu. Les battements de son coeur, soumis par l'action puissante de sa volonté, demeurèrent égaux et paisibles ; son souffle ne passa ni plus rapide, ni plus chaud entre ses lèvres entrouvertes ; l'intelligence et l'énergie morale triomphèrent en lui des terreurs et des angoisses du corps, qui, véritablement réduit à la servitude pour laquelle il est fait, obéit, et il passa.

Raymond avait assisté, les mains jointes, à l'effrayant spectacle qui se déroulait sous ses yeux; une sueur d'angoisse perlait à son front, et le jeune homme put expérimenter -qu'il est des moments dans la vie où l'homme, sentant son impuissance totale, prie en quelque sorte d'instinct.

Le reste de l'ascension offrait moins de périls. Lionel l'accomplit en deux heures. Parvenu au sommet, il ôta son chapeau et l'agita plusieurs fois dans l'air pour saluer son frère. Raymond prit aussitôt place derrière l'oeuf percé qui lui servait de mire, et dirigea les recherches de Lionel au moyen des signes que nous avons indiqués. Pendant plus de trois heures, tous deux, l'un en haut, l'autre en bas de la montagne, se livrèrent à un travail rude, fatigant, énervant, sans trêve.

Peu à peu, toutefois, le cercle des tâtonnements de Lionel se rétrécissait, et, vers midi, il entendit un long et joyeux hourra s'élever du pied de la montagne jusqu'à lui. Ce cri de triomphe, c'était Raymond qui le polissait, agitant au-dessus de sa tète sa canne surmontée de son mouchoir.

Le roc paraissait, en cet endroit, plein de légères excroissances, telles que le cristal de roche en produit quelquefois. Du dos de la hachette, Lionel frappa quelques coups ; aussitôt des parcelles du rocher tombèrent à ses pieds ; leur aspect pliait quelque chose de vitrifié et de blanchâtre aux cassures, en quelque sorte de farineux. Ce ne pouvait être là l'œil lumineux du spectre, et cependant, la précision de sa mire ne permettait pas à Lionel de croire à une erreur.

Il se livra à une investigation scrupuleuse du point qu'il savait titre celui où brillait, la nuit, l'oeil du fantôme, et il parvint, enfin, à. découvrir, sous une bosse assez forte du rocher, une excavation relativement profonde, de forme ovoïde, que la boursouflure de la pierre surmontait comme un gigantesque sourcil.

- Ce pourrait être là, pensa-t-il. Aussitôt il frappa la roche à coups redoublés ; la sueur coulait avec abondance de son front et la pierre grise résistait à tous ses efforts. Cependant, il ne se lassait pas, il frappait toujours à, coups nets, pressés, réguliers. Sa persévérance devait être couronnée de succès, comme c'est presque toujours le cas de la persévérance. Une large blessure apparut au point que Lionel supposait être le sourcil du démon, et bientôt le regard avide du jeune homme put plonger dans l'orbite, au fond duquel se cachait le foyer lumineux dont William Splith avait dénoncé l'existence. Il poussa un cri de joie, car il aperçut une masse noirâtre encastrée dans le rocher. Après des efforts de Titan, il parvint à la dégager et à s'en saisir. Aucun doute ne lui était permis, c'était là un diamant. Il le posa sur sa langue, du reste, et constata avec ivresse qu'il produisait sur elle cette impression de resserrement et de sécheresse qui est une des propriétés du diamant. Il fit connaître à son frère, par une série de gestes tous plus expressifs les uns que les autres, l'heureuse issue de sa laborieuse campagne.

Raymond lui répondit en exécutant une danse fantastique avec le drapeau blanc à la main.

- Qui sait quel proverbe il chante sur un air de Saltarelle? se demanda Lionel en contemplant l'exercice chorégraphique auquel son frère se livrait à ses pieds. « Jamais un sans deux », Iui suggéra sa mémoire.

- Diavolo ! fit-il en reprenant sa hachette et en se livrant à une nouvelle perquisition qui ne fut pas sans succès ; un autre diamant, moins gros, tomba à ses pieds ; il le ramassa, le goûta, l'enfouit avec le premier dans la poche de son pantalon, et se préparait, alléché par cette nouvelle trouvaille, à chercher encore.

Raymond le rappela, sinon à l'ordre, du moins à l'heure, par les cris et les gestes désespérés avec lesquels il lui montrait le soleil s'abaissant à l'horizon. Il était urgent, en effet, d'effectuer la descente, plus dangereuse encore que la montée, peut-être, et de ne pas se laisser surprendre par la nuit en plein péril. Lionel comprit et se rendit an sage avis de son frère. Lentement, s'aidant des pieds et des mains, se laissant tantôt couler le long d'un rocher, tantôt se suspendant à une branche, utilisant tour à tour son bâton, sa corde, sa hachette, il arriva sans encombre jusqu'au pont. Là, il s'arrêta quelques instants pour reprendre haleine, et, sans sourciller, s'aventura sur l'étroit passage suspendu dans l'air, au-dessus de l'abîme où hurlaient, avec frénésie, les flots déchirés par les roches de fond.

- Quand la volonté passe, le corps la suit, murmura le jeune homme en se retrouvant sain et sauf dans les bras de Raymond. Voilà un axiome que tu peux joindre à ta collection, frère ; il résume merveilleusement notre aventure.

Raymond sourit sans pouvoir prononcer une parole. On se possède plus aisément dans l'action que dans l'attente.

Les deux diamants étaient magnifiques ; ils furent vendus un prix élevé au moyen duquel les deux frères se rendirent propriétaires du petit groupe de montagnes qui dominent la vallée de Sasassa, y firent des fouilles intelligentes et suivies dont le résultat fut de leur procurer, en peu de temps, une très importante fortune.

Ils revinrent en Europe, firent un pèlerinage d'action de grâces à la Vierge de pierre à laquelle, au départ, la main dans la main, ils avaient adressé un « Souvenez-vous », doublèrent la dot de leurs soeurs, constituèrent une rente à leur père, mais ne purent reprendre goût aux impurs et aux habitudes françaises. Ils retournèrent donc bientôt sur la terre africaine où ils s'établirent définitivement, heureux de l'existence libre et pleine d'initiative du colon, heureux de ne point sentir peser sur eux les lourdes chaînes du convenu si souvent en contradiction avec le juste et le vrai.

Ces chaînes du convenu sont, hélas ! presque toujours un obstacle au développement de l'homme lui-même, qui cesse, par elles, d'être une individualité, une unité, pour se perdre dans une forme admise, se plier sous un niveau commun, se confondre avec n'importe quels autres chiffres et s'abîmer dans un nombre.



The Eye of the Specter (English translation)

(auto-translated)

Imitated from de Conan Doyle

- "My children," said Mr. Loisel to his two twin sons, Lionel and Raymond, who had just completed their military service, "thank God, you are now in good standing with your country, what are you going to do now, because it is high time to think about your future? I have given you an education as complete and as solid as the current education system requires, I have stopped at nothing to make you truly honest men, which means good Christians.

"I have spent thirty thousand francs net on each of you, which reduces my assets to about two hundred thousand francs. Now, you can guess that I do not want to do less for your sisters than for you. There are three of them and they could not, like you, earn their living by their work. I will therefore share with them what I have left, in order to marry them and ensure them bread and a concert. This is only fair. You have no moral right to come to the division of my estate, if you have an indisputable legal right to it; but I will take the necessary steps to turn, on this occasion, the demands of the law to those of my conscience. I have earned my small fortune by the sweat of my brow, I am master of disposing of it as I please, and I do so, sure of your approval, for you are both, I know, good boys. I have lost neither my money nor my efforts with you, or to be more exact, God has blessed my efforts and my goodwill towards you: he has deigned to take the first place in your souls: from then on, I am at peace with you. Do not hinder the action of the heavenly Father in you and all will be well.

"Having said this, let us return to your future on earth, my children; let us see, what do you intend to do?

- "Give us your opinion, Father," said Lionel.

- Gladly. The liberal and administrative careers in France have ten candidates for each place; to make your way through these channels today, you must be a star or a rascal.

The two young men smiled.

- Let us leave aside this first hypothesis, and leave the second: star! Well, without wishing to offend you, my friends, I think we must discard the second as well as the first, for it would be very risky to count on its realisation, I will not hide it from you. I agree that you have had a good education, but that does not mean that you are superior. In college, young people, you only learn how to learn; the more you advance in life, the better you will realise it.

- Industry? Commerce? asked Raymond.

- "In order to begin anything seriously in that direction, Raymond," replied his father, "at least in France, you must have capital at your disposal. The case is exactly the same for agriculture; without a relatively large initial outlay and without a provision as a rearguard against eventualities, one should not even think of it.

- And the arts? Lionel asked timidly.

- Art is not a profession, my child, it is a vocation and, in my opinion, a vocation obliges; but one should no more attempt the heights of art than those of the priesthood, without being certain of being called to it and without being ready to make, without bargaining, the totality of the sacrifices it will require. Anyone who aspires to such heights without being truly devoured by the divine fire is a fool or a madman.

- Please, Father, give us your assessment of the artist and of art?

- With pleasure. But how shall I make it short and clear? I will do my best, my friends; please give me your full attention.

"The artist has been given special gifts by God to help make the truth known and loved; therefore he has a mission, and you see that I was not entirely wrong in presenting art to you as a kind of priesthood.

- I don't really see, Father, how the artist can achieve this goal; for, after all, truth has neither body nor figure, to use the language of the catechism, it does not fall under the senses, it is purely spiritual, and the work of the artist is a material work that strikes our eyes or our ears.

- Without suspecting it, you are helping me with your objection, Lionel. It is precisely because truth is not material that man can only contemplate it on earth through a covering. Well, this covering, when it has brilliance and splendour, when it manifests itself with a kind of luminous reflection, when it puts our soul in contact with the true, when it makes us grasp it, admire it, love it, it is the splendour of the true, it is the beautiful, fixed in one point by the artist: it is art.

"Therefore, my children, woe to the man who profanes the artist's genius within himself, forgets that he is bound to choose an honest subject, to remove ruthlessly from his execution everything that may offend modesty and virtue. Woe betide him, for he will answer to God for all the evil passions he has aroused or overexcited by his work, and his passions will one day rise up before him, a terrible clamour demanding from divine justice a condemnation without appeal.

A short silence followed, during which everyone seemed to weigh these last words.

- "Do not infer from what we have just said, my friends," resumed M. Loisel, "that your father places art and the priesthood on the same rank. Oh, no, for example; although I have suggested that both these paths imply the necessity of a vocation, and that 'vocation' taken in its proper sense means the way of God, hence 'vocation obliges'.

- Would you like to elaborate a little on your thought, Father?

- I would like nothing better, my children. St. Augustine teaches us, according to the Holy Letters, that God cannot save us without our help; that is to say, our salvation implies the participation of our will by correspondence to grace; from which it is evident that our eternal destinies depend, on the one hand, on God's grace, and, on the other, on the use we make of our freedom in this matter. The more abundant divine grace is in us, the more we necessarily have in our power the means to conquer the eternal homeland, and when we are in our vocation, in the way God willed for us, we receive all the help of grace in superabundance, we are, in a way, saturated with it.

- I don't like this way of speaking, Father: "God cannot save us without us. God can do what he likes, and nothing, for sure, hinders his good pleasure, says Lionel.

- If the reverend fathers of the Society of Jesus who raised you heard you, they would not believe it, and this is what they would say to you: God respects sovereignly the freedom to choose between good and evil which He has given to man so that his acts may be meritorious. He has committed himself to helping him by his grace, but this grace is generally given to him in proportion to the good reception he gives him.

"Vocation obliges," I said earlier, which can be translated simply as follows: to refuse the special grace of vocation is quite simply to expose oneself to not receiving enough grace to do well in another way, it is to make the most dangerous use of one's freedom. Everyone talks about freedom today, and very few people know what they are saying when they talk about it. If we would only go back to its source and understand its true meaning, we would not commit so many crimes in its name. Still, there is no greater privilege for man than this, since God himself forbids contradicting it.

- Journalism, my father, is a career at the moment, it is a fertile field and somewhat within the reach of all," Lionel continued. Is not the press the master of opinion and is not opinion the queen of the world at the end of this century?

- Journalism! Loisel, rising to his feet. Journalism! one of the most dangerous scourges of our time, do not touch it, do not touch it, young people. The digs that corrupt the heart or the mind are the only ones that have a money-making success today, and you have your fortune to make. A really honest publicist is reduced to vegetating at the point where we are; don't think about it, because in order not to die of hunger, you would be too exposed to becoming public poisoners one day or another. I do not want such a danger for you, my children, I do not want it. Besides, Catholic journalism in all its branches is, up to a certain point, part of the priesthood and, I assure you, apart from any question of gain and fortune, you must not touch it without serious preliminary studies, you must not touch it without being called to it.

- "But then, Father, I think we'll just have to hang ourselves," laughed Lionel.

- Never joke about suicide, my son, it is out of place.

- "Please, Father, show us a path that you think we can follow," said Raymond, "because I don't really see what we can do, or what remains for us to do."

- You still need to have courage, an intelligent will that breaks, turns or overturns all obstacles, an activity that nothing wearies, an initiative that is both wise and bold. Finally, you have to be men in the noble and Christian sense of the word. It remains for you to leave for the colonies, to bring the benefits of civilisation there, to take advantage of new lands, new situations, to discover, to build, to produce, to enrich yourself honestly.

The advice was wise, but it involved great sacrifices for its execution. Leaving one's homeland, leaving one's family, implies real and profound tears to which the heart has great difficulty in submitting. Accepting the departure of one's sons with the prospect of never seeing them again here on earth, without daring to entertain even the hope that they will come to receive your last blessing and close your eyes, is one of the harshest trials that can befall a father on this earth which the Church, in her liturgical songs, so rightly calls a valley of tears.

Mr. Loisel and his sons, although they were virile as men should be, had to sustain a great and long struggle against themselves before finally accepting the emigration project proposed by the father of the family. Many tears were shed by both of them, openly or in secret, but at last the resolution of Raymond and Lionel became irrevocable, and from that day on they looked forward to the future less painfully. Little by little they came to think more often of the good than of the bad aspects of their enterprise: they hoped to be able to return to France every two years, to immerse themselves for some time in the sweet and healthy atmosphere of the family, to see at close quarters the happiness of their sisters, and to receive again the precious advice of their father.

Mr. Loisel had strongly advised his sons to set their sights on South Africa, which seemed to him to offer greater chances of fortune than the other regions exploited by the European pioneers. The father's opinion was shared by the sons, and they embarked, with heavy hearts, after an emotional farewell, one summer evening for the Transvaal.

The moon was shining brightly in a sapphire sky that would not have been disowned by the Orient; the two young men remained on deck for a long time, unable to take their eyes off the land of France, which was gradually fading into the night. The last point they saw on the shore was a mound surmounted by an immense stone Virgin, the object of a fervent cult on the part of the sailors.

- Let us say to her a "Remember," Lionel whispered in his brother's ear, pointing to the little mountain which the moon was shining on.

- "With all my heart," replied Raymond, and both, hand in hand, recited that touching prayer of St. Bernard which filially reminds the powerful Virgin Mary that no one ever turned to her in vain.

The financial resources of the two emigrants were practically nil; but they were young, they were educated, they were robust, they were two. Hope, that force without which all others dull and quickly die in the human soul, lulled them with its magical songs, and when they set foot on the dark continent, it was with the conviction that they would emerge victorious from the struggle for fortune which they were about to undertake on its soil.

For three whole years, they worked with their intelligence and their hands, without respite, without fail, without success! Then bitter and corrosive discouragement tried to penetrate their souls; at first they repelled it, indignant, but little by little this terrible evil, this peerless dissolver, which is in substance only a doubt of Providence, succeeded in becoming their almost daily guest.

Reduced, for six months, to living in a miserable hut, close to the valley of Sasassa, where they exercised the profession of veterinary surgeons, caring, with the help of a manual, for the sick animals of the immense herds which are the sole wealth of this region, they were at the point of forming plans to return to France.

- "If we had had some funds, we would have succeeded in something, no doubt," said Lionel sadly, leafing through a brochure found at the bottom of his suitcase. But, alas, here as in France, whatever our excellent father may think, one does nothing without money, nothing but exhaust one's strength, wear out one's life, accumulate setbacks, eat one's heart out.

- "I don't agree with you," replied his brother, "for working men, men with a trade, there are relatively easy ways of living and amassing a small fortune here. But for men like ourselves, who aim not only at not starving, but also at building up for their old age two thousand five hundred francs of income, for men who have a wider aim and intellectual means superior to their manual resources, it is certain that a relatively large sum of money would be needed, even if it were a loan, for we would surely manage to return it.

- If we could make our father, Raymond, understand this, he would lend us twenty-five or thirty thousand francs, what the hell!

- It is probable; we must think seriously about it, but I confess that I will be very reluctant to resort to this means; let us wait a little longer.

- Waiting, waiting, my dear, is good to say, but time is running out and you can't catch up with it; then, finally, waiting without hope is a stupid deception.

- Lionel, what is a stupid deception is to despair, allow me to tell you, because it is to stop counting on God.

- "Ah, that's a good one," cried Lionel, shaking his head ironically, "one must see what is, and infer the future from what one knows."

- "My dear friend," said Raymond, "kill the hope in a soul and you will immediately see its initiative, its courage, its efforts die. What is the use of fighting when you are sure to be crushed? Why defend yourself if you are sure to be defeated? Let hope, that beautiful bird which carries within it the secret of all our prowess, fly on its wings instead of trying to pluck all its feathers one by one under the pretext of reason. The days follow one another and are not alike. Fortune, which has so far mocked all our efforts, may smile on us tomorrow.

- "Come on," said Lionel, shrugging his shoulders; "everything comes to him who waits, doesn't it? You wouldn't have failed to send this commonplace to my head if I hadn't hurried to introduce it into my reply. He put the pamphlet in his pocket, took his rifle and went out with the obvious intention of isolating himself from his brother, who had the gift of annoying him that day. Raymond was not mistaken and shouted to him as he saw him go away:

- Providence only fails those who stop counting on it, the future will prove it to you!

Lionel turned round, grumbling and shaking his pockets, to show by this expressive gesture that Providence had left them empty. The pamphlet escaped, he picked it up and began to read it, walking at a leisurely pace, faithful to the habit his father had made him develop of never losing an opportunity to learn, no matter how small.

In the evening, a violent storm suddenly broke out, the wind was raging outside and the rain filtered through the rough carpentry of the door and windows.

Lionel threw a load of dry wood into the fireplace and built a big fire, before which he cooked a wild goat he had killed in the city.

- This is a fine time to allow luck to come into this den," he said with a sneer.

- "Who knows?" replied Raymond gravely, "the future belongs to God and God is our father."

- "My word of honour, you're priceless," said Lionel, angrily throwing another 'Ache into the fireplace, "you were cut out to preach retreats and spout proverbs.

- "Hope against hope!" said Raymond.

- You have no common sense and you irritate me.

- He who lives will see, my dear Lionel. The conversation of the two brothers was interrupted at this point by a loud knock at the door. Lionel rushed to open it and a tall man, dripping with rain, entered the kitchen. It was William Splith, a young farmer from the neighbouring valley, who was treating the two Frenchmen as friends.

A native of County Gall, Will, as he was amicably called, had come to the Transvaal with a hundred thousand francs; he had obtained a large grant of land there, and was raising Merino sheep on a large scale, with real success. He was a sturdy fellow, happy to live, with a clear, firm mind, free from all prejudices, educated and cheerful. The two Loisel brothers loved him very much and considered him almost as a friend.

- "I am glad that I was able to discover your cottage in this devilish darkness," he cried, shaking off the water with which he was covered as best he could, and coming to sit on a rustic bench, the work of Lionel, three steps from the fireplace.

His face was pale, his expression fearful, his hands trembling.

- "God forgive me," cried Raymond, "you look as if you were afraid, my dear Will."

- "And one would be right," replied Seth.

- Are you not the brave of the brave?

- I am not a coward, I can say, because I have proved myself in this matter, but that does not prevent me from having had a proud fright, so much so that I still shudder.

- "Come on, tell us your business," said Lionel, carefully turning over his roast, with an iron wood spit through it, the ends of which rested on the two andirons built of small stones.

- I have just come from the city, which means that I have crossed the valley of Sasassa since it was dark, and in crossing it I saw the ghost. Lionel remained crouched before the flames, holding the brooch in one hand.

- "What a joke!" he said.

- "It is not a joke," said the Englishman, "but one as sure and certain as my being here with you at this moment."

- "Will!" cried Raymond reproachfully, for such a story did not seem to him to be so positively stated, even as a joke. The Englishman rose to his feet and solemnly extended his right hand as if to take an oath.

- "On the ashes of my father," he said slowly, "I swear that I have seen the ghost, the spectre, the revenant of Sasassa!"

A silence followed these words. If Lionel and his brother still doubted the reality of the ghost, they could not hesitate to give full credit to their friend's word.

- "Tell us about it, Will?" said Raymond; "since it is serious, we will listen to you seriously, you may rely on it."

- Well, my friends, you must know that the negroes of the country assure you that a demon with eyes of fire sometimes comes to sit, in the night, on the highest rock of the pile of stones which crowns the little mountain in the sides of which the torrent of Sasassa has carved out a deep bed. This place is inaccessible to man: on all sides, the mountain, cut by the torrent, offers hard and smooth walls, on which a few bushes or stunted shrubs barely grow here and there. The natives are madly terrified of the ghost, whose fiery eyes, they say, drink up the light from their eyes and blind them. So, as soon as they see the terrible rays, they hasten to lower their eyelids and remain that way until daylight.

- "It is certain," Lionel said ironically, "that this is a valuable means of verifying what one has seen. His brother beckoned him to be quiet and asked Will to continue."

- I was hurrying back, for I felt the storm approaching, when, a few yards from the mountain split in two by the torrent, I heard a tremendous noise that shook the earth beneath my feet. For a moment I was stunned by this frightful noise, and had some difficulty in understanding its cause: I stopped short, not knowing whether I should go forward or backward. At last I understood: a landslide had just occurred on the half-mountain on the left bank, the one on this side, and stones of all sizes had fallen from its summit to its feet, digging deep ruts in their path. One of these stones, much larger than the others, a veritable quarter of a rock, had met in its fall the part of the mountain which occupies the right bank, arching against it in the manner of those fantastic bridges called in all the countries of the world 'Devil's bridges.

"While I was considering this strange movement of the ground, telling myself in petto that the blinding devil of the negroes could not have done better, my gaze instinctively went up to the rocky mass which serves as its crown.

"It was then that a shiver of terror ran through my body. A bright, intense light, with glittering reflections, shone on the very spot which the negroes had repeatedly indicated to me as the residence of the devil.

"I thought it was a hallucination, I stepped back a few yards, I rubbed my eyes like a man awakening, I spoke loudly to hear my voice and to make sure that I was not the prey of a dream, of a delirium, of a sudden attack of hot fever: the light existed, it did not flinch. It was a fiery glow, with strange sparkles, such as I had never seen before. I resolved at once to climb the mountain, whose elevation is certainly not more than two hundred metres, using the landslide and the suspension bridge, to reach the ghost; but I could not find my way in the shadows; I even gradually lost the right topographical appreciation of the place. The ghost had become obscured from my eyes as soon as I resolved to climb up to him and approached the base of the granite throne which he occupies, as if he had read my mind. I wandered for more than half an hour, without wishing to give up my plan, then; weary at last of so many useless efforts, I changed my mind, returned to my steps, sending the demon of Sasassa to the devil. Instantly I saw him again as if he had read my mind for a second time.

"I couldn't help but jump violently. I confess to you in no uncertain terms that I felt my legs tremble under me. I stiffened, however, against that mysterious fear which seizes the bravest and most enterprising man in the presence of a phenomenon of the supernatural order. I gazed intently at that singular glow which seemed to have the power to penetrate to the very last recesses of my being and to read my thoughts with an open book. Around this eye of fire the shadow was relatively dissipated, or rather this eye was surrounded by a semi-luminous fog, vaguely sketching the shape of a colossal ghost.

- "You speak only of an eye, Will," said Raymond, "is this ghost a cyclops?"

- I saw only one focus of light, Raymond, only one, in the shape of a wide-open eye, for example. It is an eye, there is no mistaking it, there is no doubt about it.

At this point in the conversation of the three young men, Lionel burst into a burst of laughter so joyous and so sonorous that his brother and the Englishman remained confused.

- "What is the matter with you?" asked Raymond, evidently annoyed by this outburst of untimely mirth, which seemed rather like a mockery of their friend Splith.

- "You are wrong to laugh," said the phlegmatic Englishman gravely, "on my word, there is nothing to laugh about. You're being brave for a quarter of an hour, but I'd like to see you in my place."

- "Oh, Will, don't take offence at my merry jest, I pray you," said Lionel; "if I laughed so heartily, it was because I suddenly thought of that very common opinion that an apparition heralds a change of fortune; and a change for us can only be good, and I will go to the spectre and make our luck change. But, Will, listen to me, I have something to ask you, don't refuse me."

- "Don't refuse me," said the Englishman, "you may ask, and then we'll see."

- Well, you must promise me, give me your word that within a week, eight full days, you will speak to no one, to anyone in the world, do you hear, of what you have seen tonight, so that the Cyclops' favours may not slip from us to others.

- "Gladly," said Splith, smiling.

- Will you give me your word for it?

- I give you my word, Lionel, that I will not speak to anyone about the demon of Sasassa for a week, that's all.

Gradually the conversation turned to other subjects; the kid was cooked to perfection: it was eaten, somewhat in the manner of Homer's heroes, and the Englishman, at the first light of dawn, set off for his estate.

As soon as he had gone, Lionel, instead of going to bed, began to run about the hut in a state of extraordinary overexcitement. He clapped his hands, uttered little cries and, coming to his brother, took him by the shoulders and shook him feverishly.

- "I am not going to be able to do anything about it," he said, "but I am going to do something about it," he said.

- Yes, yes, I am mad, but mad with joy, brother: the ghost the ghost.

- Well, what about the ghost?

- He has broken our bad luck, we are saved, we are rich!

- Please explain yourself, Lionel; what you are saying is so foolish, your excitement is so obvious that you are deeply disturbing me.

- I have the fullness of my common sense; go on, don't worry about my reason, the mystery of our change of situation I'll give you the key tonight; meanwhile I'll go out, I have to work outside.

- "Lionel. Lionel," said his brother gently, "why don't you tell me your whole thought right now?

- "Brother," replied Lionel affectionately, "because I want to leave you all the pleasure of the surprise, but, in order to drive all anxiety about me out of your agitated mind, I agree to tell you this: Raymond Loisel, you are right. Everything comes to those who wait. We must hope against hope. The future belongs to God and God is our father. To despair is to doubt his providence. Finally, I will add to this series of wise counsels, for it to be complete, the one that our father never ceased to give us and which he summed up in these words: Never lose an opportunity to learn something, no matter how little.

With these last words. Lionel took a hatchet and a knife and went out.

He did not return until the end of the day. He carried on his shoulder a stake, well sharpened at one end; under his arm, various pieces of wood; in his hand an egg the size of a goose egg that a bird rather like the flamingo lays in these parts.

Raymond received it with astonishment. What could this strange baggage mean?

- "Hold this stake straight and still as if it were stuck in the ground," Lionel ordered.

Raymond did as he was told.

- "Good," said his brother. Now you see that I have made a deep cut in the top of this stake and punched two equal holes in the sides. Here are two splints, also with holes in them; I'm going to slip them into the cut, and by means of this peg, which goes through the four holes, I'm making my two splints into a lever of some kind. Look, I raise them as I please, lower them in the same way and immobilise them as I please. And that's not all. Here is an egg which I have very carefully emptied by making round and clean openings at both ends. I place this egg at the end of my two splints as if in a pair of pliers; you see, it holds perfectly. The preparations are complete, my dear Raymond; this is their purpose. My lever or clamp, as you will, places and holds this egg immobile; I apply my eye to one of the orifices, and I am able, by this improvised sight, to determine just the point...

- "Where is the eye of the ghost?" laughed Raymond.

- "Yes," replied Lionel laconically. We shall go this very evening to determine that point with absolute precision.

- But for what purpose?

Lionel took the pamphlet he had carried the day before, opened it to a carefully marked page and read the following, weighing each word:

"It happens that diamonds set in the rock sometimes throw more or less precise gleams in the night," assures the old pamphlet that I found.

- "A diamond! a diamond! it's a diamond!" shouted Raymond, suffocated by surprise; in truth, God does not abandon his own!

- "And our father was quite right when he repeated to us until he was tired: 'Never lose the opportunity to learn something, no matter how little.'"

As soon as night fell, the two Brothers set out for the valley of Sasassa; the sky was clear, without a moon, but with a few stars.

They went to the place mentioned by Splith in his account of the previous day, and had no difficulty in discovering the ghost. They found the details given them by William Splith to be perfectly accurate. They set up their sight at a point which would enable the one who climbed the mountain to see the one who would remain near the instrument and guide the first in his search. When this was done, they began to talk under the intermittent gaze of the Cyclops, and it was agreed that Lionel, armed with an axe, would undertake at dawn the difficult and perilous ascent which had been impossible two days before, that is to say, before the landslide which Splith had witnessed. Once on the summit, the bold pioneer would search for the precise point where the ghost, extinguished by the abundance of sunlight, lay in the rocky mass.

Raymond would follow him in all his movements, waving his handkerchief with his right hand as he moved away from the goal, waving it with his left hand as he approached it, and raising it on his cane when he reached the precise spot.

The two brothers embraced as if on the day of a separation, without wanting to agree, without even alluding to it: both understood the dangers that had to be overcome and conquered in order to take possession of the diamond on which all their hopes for the future now rested.

Lionel had girded himself with a long rope so that he could tie himself, if necessary, to a tree or a rock: his hatchet was suspended from his belt, and he held in his hand a solid pole with a hard, sharp point. He set off at the first light of dawn, while his brother, with a heavy heart, watched the daring efforts he was obliged to make from the first steps.

The ascent presented the most moving perplexities: on the recently cracked surface of the mountain, stones, which had not had time to adhere to the ground, trembled under the feet of the young man, and, sometimes, losing their balance on contact with him, came, rolling with a crash, to fall on the plain. With infinite precautions, but also with a quiet courage that allowed him to use all his means, Lionel jumped from rock to rock, sometimes holding on to his stick, sometimes to a clump of grass. When he reached the point where the quarter of rock pointed out by William had fallen over the abyss, forming a suspension bridge twenty or thirty feet wide, he stopped: a slight shiver passed over his flesh. A hundred feet below him rolled, furious and groaning at the same time, the waters of the torrent which gave life to the plain. It was hemmed in between the two sheer divided mountains, summoned by some Roland's sword, Nothing more sinister than this dark, narrow, deep abyss, from which rose voices of anger and despair.

The Devil's Bridge, which had been crossing it for twenty-eight or thirty hours, was made of a single narrow, sharp stone, crumbling at the edges, in which a wide cleft appeared, crossing it in a zigzag pattern. Lionel paused for a moment, as if to weigh the full extent of the danger he was about to run.

- If this rock were three feet from the ground instead of a hundred feet above this abyss, would I feel the least apprehension in stepping upon it?

- None, was the answer he immediately made to himself, and, by way of comment, he added: "The danger, then, is more apparent than real; it comes from me, not from this rock, which the weight of a man will certainly not disturb. Coolness, no nerves, back the dizziness and let's move on.

Lionel signed himself, commended his soul to the Virgin Mary, then bravely, quietly, he set foot on the suspension bridge. The beating of his heart, subdued by the powerful action of his will, remained equal and peaceful; his breath passed neither more rapidly nor more warmly between his half-open lips; intelligence and moral energy triumphed in him over the terrors and anguish of the body, which, truly reduced to the servitude for which it was made, obeyed, and he passed on.

Raymond had watched, with clasped hands, the fearful spectacle unfolding before his eyes; a sweat of anguish beaded on his brow, and the young man was able to experience -that there are moments in life when man, feeling his utter helplessness, prays as it were by instinct.

The rest of the climb was less perilous. Lionel completed it in two hours. When he reached the top, he took off his hat and waved it several times in the air to greet his brother. Raymond immediately took his place behind the pierced egg which served as a sight, and directed Lionel's search by means of the signs we have indicated. For more than three hours, the two of them, one at the top, the other at the bottom of the mountain, engaged in a rough, tiring, nerve-wracking, unremitting work.

Little by little, however, Lionel's circle of groping narrowed, and, towards noon, he heard a long and joyous hurrah rise from the foot of the mountain to him. This cry of triumph was Raymond's, waving his cane and handkerchief over his head.

The rock seemed, in this place, to be full of slight excrescences, such as rock crystal sometimes produces. With the back of the hatchet Lionel struck a few blows; at once pieces of the rock fell at his feet; their appearance bent something vitrified and whitish at the breaks, in a sort of mealy. It could not be the luminous eye of the spectre, and yet the precision of its sight did not allow Lionel to believe in a mistake.

He made a scrupulous investigation of the point which he knew to be the one where the eye of the ghost shone at night, and at last he succeeded in discovering, under a fairly strong hump in the rock, a relatively deep excavation, ovoid in shape, which the swelling of the stone surmounted like a gigantic eyebrow.

- This could be it, he thought. Immediately he struck the rock with repeated blows; the sweat poured profusely from his forehead and the grey stone resisted all his efforts. However, he did not tire, he kept on striking, cleanly and evenly. His perseverance was to be successful, as perseverance almost always is. A large wound appeared at the point which Lionel supposed to be the demon's eyebrow, and soon the young man's eager gaze was able to plunge into the eye socket, at the bottom of which lay the luminous focus whose existence William Splith had denounced. He gave a cry of joy, for he saw a blackish mass embedded in the rock. After Titanic efforts, he managed to free it and seize it. There was no doubt in his mind that it was a diamond. He placed it on his tongue, moreover, and noted with intoxication that it produced on it that impression of constriction and dryness which is one of the properties of the diamond. He made known to his brother, by a series of gestures, each more expressive than the other, the happy outcome of his laborious campaign.

Raymond responded by performing a fantastic dance with the white flag in his hand.

- "Who knows what proverb he sings to the tune of Saltarelle?" asked Lionel, contemplating the choreographic exercise his brother was performing at his feet. "Never one without two," his memory suggested.

- He picked it up, tasted it, buried it with the first one in his trouser pocket, and prepared, enticed by this new find, to search again.

Raymond called him back, if not to order, at least to time, by the cries and desperate gestures with which he showed him the sun sinking on the horizon. It was urgent, in fact, to make the descent, which was even more dangerous than the ascent, perhaps, and not to allow oneself to be surprised by the night in the midst of danger. Lionel understood and followed his brother's wise advice. Slowly, helping himself with his hands and feet, sometimes letting himself sink along a rock, sometimes hanging on to a branch, using in turn his stick, his rope, his hatchet, he reached the bridge without a hitch. There he paused for a few moments to catch his breath, and, without batting an eyelid, ventured out onto the narrow passage suspended in the air, above the abyss where the waves torn by the rocks at the bottom were howling frantically.

- "When the will passes, the body follows," murmured the young man as he found himself safe in Raymond's arms. Here's an axiom you can add to your collection, brother; it sums up our adventure wonderfully.

Raymond smiled without being able to say a word. One possesses oneself more easily in action than in expectation.

The two diamonds were magnificent; they were sold at a high price, by means of which the two brothers became owners of the small group of mountains which dominate the valley of Sasassa, and carried out intelligent and continuous excavations, the result of which was to provide them, in a short time, with a very important fortune.

They returned to Europe, made a pilgrimage of thanksgiving to the Virgin of stone to whom, at the beginning, hand in hand, they had addressed a "Remember", doubled the dowry of their sisters, constituted an annuity for their father, but were unable to regain a taste for the impure and the French habits. So they soon returned to the African land where they settled permanently, happy with the free and enterprising existence of the colonist, happy not to feel the heavy chains of the conventional so often in contradiction with the just and the true.

These chains of convention are, alas, almost always an obstacle to the development of man himself, who ceases, through them, to be an individuality, a unity, to be lost in an accepted form, to bend under a common level, to merge with any other figures and to be abyssed in a number.