La Dernière de Holmès

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La Dernière de Holmès (The Last of Holmès) is a French Sherlock Holmes pastiche written by Alphonse Dulau published on 2 april 1927 in the French newspaper La Victoire.



Editions


La Dernière de Holmès

La Dernière de Holmès
La Presse (16 november 1928, p. 5)

- Dites donc, l'homme, vous ne pourriez pas aller voir plus loin si j'y suis ?

C'est en ces termes peu protocolaires que ce jour du 1er avril, à midi, heure de l'apéritif, un maître d'hôtel, impérieux et glabre, du Café de la Paix, s'adressait à un pauvre diable à barbe rousse qui, à la terrasse, prospectait les mégots jusque sous les pieds des consommateurs.

L'homme ainsi rabroué poussa une sorte de grognement inintelligible dans sa broussaille fauve, recula sur le trottoir de quelques mètres puis quand le maître d'hôtel eut tourné les talons, recommença sa chasse aux bouts de cigares et de cigarettes qu'il flairait soigneusement les uns après les autres, sans en avoir l'air, avant de les enfouir dans une poche de sa veste dépenaillée.

Cette singulière occupation qui pourrait sembler aux lecteurs le fait d'un déséquilibré ne les étonnera plus quand ils sauront que le miséreux à la barbe rousse n'était autre que l'illustre, l'incomparable, l'inimitable Sherlock Holmès — en personne ! — échappé du dernier roman policier de Conan Doyle.

Holmès, ce jour-là, était sur la piste de Jack, l'éventreur, le sinistre bandit londonien, qu'il avait de bonnes raisons de croire parti pour la capitale.

Connaissant, d'une part, le mélange particulier que fumait habituellement le misérable et sachant, d'autre part, que les insulaires foisonnent à la terrasse du grand café de la place de l'Opéra, Holmès savait que des mégots pouvaient le guider sur sa route difficile et périlleuse aussi sûrement que les petits cailloux guidèrent jadis les frères du Petit Poucet perdus dans la forêt... et dont il ignorait d'ailleurs l'histoire.

A midi trente exactement le pauvre hère à barbe rousse, presque à quatre pattes sous un guéridon, se leva brusquement, un éclair de satisfaction illumina, une seconde, ses yeux verts enfouis sous d'énormes sourcils possibles. Il avait senti !... Il avait vu !...

A 8 heures, à peine le client de la chambre 38 de ce grand hôtel de la rive gauche avait-il descendu l'escalier qui menait vers la sortie qu'un garçon d'étage pénétrait dans la pièce. Ce garçon, après avoir fermé soigneusement la porte, tira de sa poche droite une énorme loupe, s'allongea sur le tapis rouge qui couvrait le parquet et se livra sur toute sa superficie à des investigations aussi minutieuses que mystérieuses. Après quoi, avant tiré de sa poche gauche un mètre pliant il mesura la hauteur de la porte, de la fenêtre et de l'armoire à glace. Puis, les yeux mi-clos, immobile comme une statue, il sembla réfléchir profondément...

- Un tour au Bois de Boulogne? bien, monsieur.

A six heures du soir, ce chauffeur du taxi G-7835, en station place des Ternes embarqua un petit homme obèse, au complet à carreaux, dont la corpulence fit grincer d'angoisse les ressorts de la voiture fatiguée.

Le chauffeur avait une bonne figure française, avec d'énormes moustaches blondes à la gauloise et qui lui tombaient de chaque côté du menton. C'était un chauffeur modèle car il ne grommela pas d'injures quand, après une heure de course, le client obèse lui laissa, sans générosité, dix sous de pourboire. Un large sourire au contraire fendit sa face.

Mais dix minutes après il filait, à vide, à toute vitesse vers une destination inconnue. Il n'avait plus de sourire, ni de moustaches !

- Cette place est libre, monsieur?

- Yes.

Le gros petit homme au complet à carreaux qui dînait dans ce restaurant sans luxe des abords de la gare du Nord en buvant du gin rangea son lourd verre à bière avec une mauvaise humeur évidente pour que le garçon pût installer le couvert du nouveau client. Celui-ci, un bel homme à barbe blonde, vêtu avec élégance et décoré du Mérite agricole, s'il vous plaît, ne parut point s'en offusquer et commanda une choucroute substantielle qu'il arrosa aussi c'e gin, et tout en mangeant il lut un journal du soir tandis que son vis-à-vis le dévisageait sournoisement. Le silence régnait entre les deux convives. Puis tout à coup, le petit homme au complet à carreaux blêmit affreusement. Il venait de s'apercevoir que la belle barbe d'or du personnage d'en face était postiche et que celui-ci était...

Ce ne fut pas long.

A dix heures du soir, l'homme £i la barbe blonde prit discrètement le chemin des lavabos en s'épongeant le front, car il avait chaud, ce qui lui permit, en outre, de voir, grâce à une glace dissimulée habilement au fond du mouchoir que l'homme au complet à carreaux jetait dans son bock une pincée de poudre blanche qui se dilua instantanément.

A dix heures cinq il revint, se pencha gracieusement vers le petit homme au complet à carreaux et lui dit :

- N'est-ce point à vous, ce mouchoir qui est tombé, monsieur ?

L'obèse se baissa difficilement — l'espace de quelques secondes — et ce court espace de temps suffit à l'homme à la barbe blonde pour changer respectivement de place les deux bocks avec une prestesse et une habileté dignes d'un prestidigitateur !

Et ensuite !...

Un quart d'heure plus tard, dans le restaurant soudain révolutionné, avait lieu le dénouement de cette passionnante chasse à l'homme, grâce aux méthodes — que nous n'entreprendrons pas d'expliquer — du policier illustre entre tous. L'homme au complet à carreaux, Jack l'éventreur, que tout le monde a reconnu, avait bu sans méfiance le terrible et mysterieux poison versé par sa propre main. Et, foudroyé, l'écume aux lèvres, les veux révulsés, Je monstre gisait sans vie sur le parquet.

Quant à Holmès, que tout le monde aussi a reconnu, il n'avait plus sa barbe blonde, ni Je Mérite agricole, mais il avait conservé tout son flegme britannique, toute son impassibilité impressionnante. Au personnel accouru, affolé, qui lui désignait le cadavre qui déjà noircissait, il se contenta de dire ces simples mots qui le médusèrent :

- Poison d'avril !

Puis, non sans avoir bourré sa fameuse pipe, très digne, par les voies lés plus rapides, il regagna le cerveau génial de Conan Doyle.

Alphonse Dufau