M. Lépine a été volé ! L'enquête de Sherlock Holmes

From The Arthur Conan Doyle Encyclopedia
Revision as of 23:17, 28 August 2017 by TCDE-Team (talk | contribs)
(diff) ← Older revision | Latest revision (diff) | Newer revision → (diff)

M. Lépine a été volé ! L'enquête de Sherlock Holmes (Mr. Lépine has been robbed! The Sherlock Holmes Investigation) is a French Sherlock Holmes pastiche written anonymously by Tout-Paris published in Le Gaulois (No. 13168) on 2 november 1913.

Based on a real story.


M. Lépine a été volé !

M. Lépine a été volé !
(Le Gaulois, 2 november 1913, p. 1)

L'enquête de Sherlock Holmes

Saviez-vous que M. Lépine, ancien préfet de police, député de la Loire, fût allé en Belgique ? Moi, je l'ignorais. La police est bien mal faite.

Or, donc, M. Lépine se trouvait en Belgique et il se disposait à rentrer en France. Il stationnait sur le quai de la gare d'Esschen et attendait le rapide d'Amsterdam, qui devait le ramener à Paris. M. Lépine a toujours aimé la foule. Alors qu'il était encore en fonctions, on put même lui reprocher de l'aimer trop, de s'y mêler trop volontiers dans les cas d'effervescence, au risque de recevoir quelque mauvais coup et de priver ainsi ses agents de leur chef. Or il y avait foule sur le quai de la gare d'Esschen. Pourquoi M. Lépine aurait-il songé à la fuir ? Il prit, au contraire, plaisir à s'y sentir confondu.

Il ne s'aperçut pas qu'un voyageur s'était glissé auprès de lui. Il ne sentit pas qu'une main indiscrète mais légère s'insinuait dans sa poche et en extrayait délicatement son portefeuille. Une pareille inadvertance est faite pour surprendre, de la part d'un ancien préfet de police. Prenez garde, pourtant, qu'un homme qui a été préfet de police et qui le fut pendant si longtemps doit être bien aise de s'octroyer enfin des vacances, de ne plus être sans cesse sur le qui-vive, et, délivré du soin de faire la police pour les autres, de se confier à la police des autres. Imprudence, pourtant, fatale imprudence ! Un ancien préfet de police ne devrait se confier ni même se fier à la police de personne.

La seule véritable excuse de M. Lépine, s'est que, n'étant plus préfet de police, il est maintenant député. Comme député, il se crut inviolable, même en temps de vacances parlementaires, même sur un territoire étranger.

Toujours est-il que le pick-pocket opéra sur lui comme sur le badaud le plus naïf. Le rapide Amsterdam-Paris arriva en gare. M. Lépine monta dans le train. Le rapide repartit. Et ce fut alors seulement qu'il s'aperçut du vol dont il avait été victime. L'expérience professionnelle reprenant ses droits, M. Lépine constata que le vol en question était un vol à la tire. Mais cette constatation ne suffit pas à le consoler. Il reconstitua admirablement la scène telle qu'elle avait dû se passer. Sa lucidité était maintenant parfaite. Le voleur était certes un habile homme; il avait du s'y prendre de cette façon. C'était du joli travail, et lui-même n'aurait pas fait mieux, alors qu'il développait à ses agents des cours pratiques. Ces formalités terminées, il dut reconnaître que son porte-feuille n'avait pas moins disparu et que le voleur avait disparu de même.

Comme le train stoppait à la station suivante, M. Lépine descendit et s'en fut conter sa mésaventure au commissaire de police. Le commissaire l'écouta avec la plus sincère attention et lui dit avec une obligeante sollicitude :

- Je vais ouvrir une enquête.

- Je n'en attendais pas moins de vous, répondit M. Lépine. C'est la première chose que l'on fait en pareil cas. Il faut bien ouvrir des enquêtes pour pouvoir les fermer ensuite.

En entendant des paroles aussi sensées, le commissaire de police reconnut sans peine qu'il avait affaire à quelqu'un de la partie.

- Ne seriez-vous pas M. Lépine ? interrogea-t-il.

- Oui... Mais comment avez-vous deviné ?...

- Nous avons tous votre signalement...

- Je préférerais pouvoir vous donner celui de mon voleur...

- Nous avons celui du volé... c'est déjà quelque chose... Comptez sur mon dévouement...

M. Lépine remonta dans le rapide et n'en descendit plus qu'à Paris. Arrivé dans la capitale, son premier mouvement fut de faire ce que fait toute personne volée, et de se rendre immédiatement à la préfecture de police pour y déposer une plainte. Son second mouvement, plus réfléchi, fut de ne pas se livrer à une démarche inconsidérée. Il se voyait malaisément allant lui-même raconter sa petite affaire à son successeur. Si encore une telle démarche avait pu demeurer secrète ! Mais son arrivée serait déjà remarquée par les agents de garde, qui ne manqueraient pas de rectifier la position en l'apercevant. Il ne pouvait faire autrement que de croiser d'anciens subordonnés dans les couloirs. Comme une trainée de poudre, la nouvelle de son arrivée se répandrait dans les bureaux. A peine aurait-il formulé sa déclaration, que chacun en connaîtrait la substance. Et il croyait déjà entendre les ragots familiers :

- Vous savez... le « petit Louis », est dans la boite... Le « petit Louis » a été volé.

Et puis, il lui répugnait de s'ouvrir à M. Hennion. Il ne l'avait jamais gobé ; il le gobait encore moins depuis qu'il était préfet de police.

Ce qu'il fallait, c'était une enquête discrète. Sherlock Holmes, le grand détective anglais, se trouvait justement à Paris pour quelques jours. M. Lépine ne pouvait trouver de meilleur conseiller ni de meilleur auxiliaire. Il se rendit sans tarder au Palace qui abritait l'illustre policier et lui fit passer sa carte. Sherlock Holmes le reçut immédiatement et lui dit :

- Bien que la carte que vous m'avez fait passer porte le nom de Louis Lépine, j'ai tout de même la certitude que vous êtes l'ancien préfet de police.

- Comment l'avez-vous deviné ?

- Je ne l'ai pas deviné... Ce n'est qu'un résultat de ma méthode déductive...

- Cette méthode peut-elle vous faire pénétrer l'objet de ma visite ?...

- Mettez-moi sur la voie...

- J'ai été volé...

- Cela suffit... La suite se déduit à merveille... Vous venez me demander de découvrir le voleur...

- On ne peut rien vous cacher...

- C'est l'enfance de l'art... Maintenant, voulez-vous me permettre de vous poser quelques questions ?...

- Je vois que vous connaissez votre métier... Je suis prêt à vous répondre...

- Votre portefeuille contenait-il une somme forte ?...

- Non... Quelques centaines de francs... - Vous connaissez-vous quelque ennemi ?...

- Non... Caillaux ne m'aime pas beaucoup ; mais de là à me chiper mon portefeuille... Et puis, monsieur Sherlock Holmes, laissez-moi vous dire que si j'avais un ennemi, il songerait, avant toute chose, à me supprimer... Un voleur n'est pas un ennemi... Il n'est que l'ennemi de l'argent que l'on a sur soi...

- Vous raisonnez comme un enfant... D'ailleurs, la police officielle ne sut jamais déduire... Or, moi, je déduis... Et voici ce qu'établissent mes déductions... Croyez-vous qu'il soit vraisemblable qu'un individu aille voler quelques centaines de francs à M. Lépine, uniquement poussé par la soif de l'or ?... Le jeu n'en vaudrait pas la chandelle... On risque trop à voler un homme comme M. Lépine... En principe, un homme comme M. Lénine ne se laisse pas voler comme la première poire venue... En réalité, me direz-vous, les choses se sont passées autrement... D'accord... Mais le voleur devait envisager les choses comme elles auraient du logiquement se passer... Or, la tentative était périlleuse... On ne pouvait donc s'y livrer que pour une très grosse somme... Mais du moment qu'il ne s'agit que d'une somme relativement petite, j'en déduis que le voleur n'a pas voulu vous voler..

- Bien obligé !... J'aurais préféré qu'il l'eût voulu et qu'il n'y eût point réussi...

- En tout cas, le vol fut, non pas un but, mais un moyen...

- Je ne comprends pas...

- Un moyen de vous nuire en vous rendant le héros d'une plaisante aventure... N'existe-t-il pas quelqu'un qui n'a d'autre idée que de vous faire oublier, que de prouver à tous qu'il vous est de beaucoup supérieur ?... Comment cet homme peut-il mieux vous déprécier que par le ridicule ?... N'a-t-il pas sous la main, à son service, les gens les plus adroits, les plus experts?...

- Vous ne voudriez pourtant pas accuser Hennion...

- Je n'accuse personne... Je déduis...

M. Lépine, à ce moment, se demanda s'il ne rêvait pas, s'il n'était pas le jouet d'un décevant cauchemar. Mais si... il venait de rêver !... Ne se réveillait-il pas, calé dans le coin du compartiment du rapide qui le ramenait à Paris... Il porta précipitamment la main à la poche intérieure de son veston... Hélas !... le portefeuille n'y était toujours pas... Ça, c'était la réalité, celle que le Gaulois vous exposera, d'ailleurs, plus loin, dans ses faits divers. La suite seule était un songe fantaisiste... Mais il pensa :

- C'était assez bien déduit tout de même.


Tout-Paris