Sherlock Holmes irrité

From The Arthur Conan Doyle Encyclopedia

Sherlock Holmes irrité (Sherlock Holmes Irritated) is a French Sherlock Holmes pastiche written by Paul Acker published in Gil Blas (No. 10447) on 3 june 1908.


Sherlock Holmes irrité

Sherlock Holmes irrité
(Gil Blas, 3 june 1908, p. 1)

J'ai rencontré hier soir au Jardin de Paris M. Sherlock Holmes qui jouait au Bowling avec M. Pierre Mortier et M. Gaffieri. Il se faisait d'ailleurs battre honteusement ; et l'on devinait, à la façon dont il lançait la boule, qu'il était nerveux à l'excès.

Quand la partie fut finie et qu'il eût payé ce qu'il devait, je l'emmenai hors de ce sous-sol, vers la lumière artificielle du dehors. Nous tournions mélancoliquement, tandis qu'un cinématographe montrait à la foule émerveillée M. Fallières entrant, aux accents conservateurs de la Marseillaise dans la ville de Londres, et il lui échappait des paroles irritées, des imprécations, des jurons et des menaces.

- Voyons, Sherlock, lui dis-je, qu'avez-vous ? Je ne vous reconnais plus.

Il répondit tout d'abord, naturellement, qu'il n'avait rien et qu'il chercherait vainement ce qu'il pourrait avoir, car il n'avait jamais rien. Puis, subitement, il me demanda :

- Vous lisez les journaux ?

- Certes, répliquai-je, un peu étonné.

- Vous avez lu le récit du crime de Vaugirard ?

- Certes ; j'adore les crimes, et celui-là est un beau crime.

- Et cet après-midi vous vous êtes promené dans Paris et ce soir vous avez dîné dans un restaurant des Champs-Elysées ?

- Oui, oui, oui.

- Et vous avez rencontré des amis ?

- Oui.

- Et ces amis vous ont parlé du crime de Vaugirard ?

- Oui.

Si habitué que je sois aux prouesses de Sherlock, je n'en revenais pas d'une telle divination. Il mit le comble à son habileté en ajoutant :

- Et l'on vous a dit sur ce crime ceci et cela ?

Je ne répète point ce que représentent « ceci et cela ». On comprendra pourquoi.

- Eh bien ! reprit-il, voilà ce qui me rend furieux.

Je le regardai avec ahurissement.

- Vous n'êtes pas très intelligent, fit-il. Ce qui me rend furieux, c'est que tous les Parisiens, depuis qu'ils ont lu l'histoire de mes exploits, s'imaginent être tous capables d'en accomplir de semblables et même de plus extraordinaires. Dès qu'un crime a été commis, ils se mettent à chercher l'assassin, et vous pensez bien qu'ils ne cherchent pas un assassin banal, mais un assassin que je qualifierai de sensationnel... Et ils appuient leur raisonnement sur des preuves aussi fragiles que les miennes, un morceau de ouate, un bout de corde. Ils poussent l'art des déductions aussi loin que moi-même, et la rigueur de leur logique n'égale que la rigueur de ma propre logique. En vérité, je leur ai tourné la tête : ils deviennent tous des policiers en chambre.

Il s'arrêta et me toisa.

- Je parie que vous-même vous avez fait vos petites remarques, vos petites observations... Tout comme un autre vous avez déduit quelque chose du morceau d'ouate et quelque chose de l'encrier renversé et quelque chose de la ficelle... Si je voulais, vous reconstitueriez tout le drame, à votre façon. C'est insensé. Non seulement j'ai provoqué l'éclosion de toute une littérature spéciale et peu recommandable, mais voici aujourd'hui que chaque Parisien s'évertue à m'imiter. J'en arriverai à leur recommander la lecture du petit livre de Paul Reboux et Charles Muller, A la manière de..., où je suis bien arrangé, moi et M. Conan Doyle.

Il tapa le sol avec sa canne.

- Comprenez-vous maintenant ma fureur, devant la responsabilité terrible que j'encoure. Supposez que le juge d'instruction soit influencé par tous les bruits qui circulent et que font circuler tous ces Sherlock Holmes à la manque, vous devinez ce qui se produira. Ah sans doute, ce sera sensationnel — Indiscutablement — mais ce ne sera peut-être pas vrai du tout.

Et me prenant par le bras, se penchant à mon oreille, il me confia ces paroles qui ne remplirent de stupéfaction :

- Tous mes raisonnements sont d'une logique rigoureuse, ils me conduisent directement la vérité ou du moins à ce qui devrait être la vérité. Mais vous savez que in vérité se moque de la logique. Ainsi, j'ai fait arrêter, emprisonner et pendre une trentaine de gens qui, logiquement, avaient tué ou volé, mais qui, en 'vérité, étaient les plus honnêtes personnes du monde... Seulement, la rigueur de mes raisonnements les condamnait. On ne peut rien contre une démonstration mathématique. Ainsi, pour ce crime de la rue de Vaugirard, il me serait facile — que dis-je ? il serait facile à un enfant — de découvrir un assassin tout de suite. Prêtez-moi attention : je ne dis pas l'assassin, mais un assassin, de quoi satisfaire la curiosité publique. Je démontrerai, quand on le voudra, que l'assassin est le valet de chambre ou le beau-frère, ou l'assassiné lui-même. Seulement, moi, je peux me permettre ces fantaisies ; ça ne tire pas à conséquence. Mais si les autres, si les simples lecteurs de journaux s'en mêlent, alors, c'est effroyable. Cela m'amusait d'amuser les Parisiens, niais je ne pensais pas qu'un jour ils verraient dans cet amusement un moyen pour eux-mêmes d'aider la police.

Il haussa les épaules.

Et l'on prétend que vous êtes une nation frivole !

En cet instant, il aperçut sur mon bras droit un tout petit, tout petit morceau d'ouate ; il le prit et l'examina.

- Cette ouate, commença-t-il, a conservé une odeur humaine ; de plus elle n'est pas fraiche ; elle a fait partie d'un morceau plus grand qui fut mis sur les membres d'un rhumatisant et voici bien trois jours qu'elle est de nouveau à l'air. Or, elle n'est pas venue se poser sur votre manche ; elle y était en quelque sorte agrippée. Les bandits, dont Mme Steinheil a donné le signalement, portaient des blouses noires... Vous avez un veston qui, dans le trouble d'une attaque nocturne, peut être confondu avec une blouse noire.

Il s'interrompit et sourit.

- Vous le voyez. Rien ne me serait plus aisé que de poursuivre et de vous prouver que vous avez assassiné Mme Japy et M. Steinheil.


Paul Acker