Sherlock Holmes (review february 1908 Le Théâtre)

From The Arthur Conan Doyle Encyclopedia

Sherlock Holmes is an article written by J. Copeau published in Le Théâtre magazine on february 1908.


Review

Le Théâtre (february 1908, p. 20)
Le Théâtre (february 1908, p. 21)
Le Théâtre (february 1908, p. 22)
Le Théâtre (february 1908, p. 23)
Le Théâtre (february 1908, p. 24)

THÉATRE ANTOINE

SHERLOCK HOLMES

Pièce en cinq actes et six tableaux, de M. PIERRE DECOURCELLE, d'après l'original de SIR ARTHUR CONAN DOYLE

SHERLOCK HOLMES est chargé de remettre la main sur des lettres écrites naguère par un souverain étranger qui courtisa, puis abandonna, certaine demoiselle, depuis morte de chagrin. La soeur de la victime, Miss Alice Brent, tient en sa possession ces lettres, mais est elle-même séquestrée par d'habiles coquins, les Orlebar, lesquels ont essayé, vainement jusqu'à ce jour, de lui dérober les précieux documents à seule fin de faire chanter, pour leur propre compte, ledit souverain étranger. Sherlock Holmes pénètre dans la maison des Orlebar, obtient une entrevue avec Alice Brent et, pour lui arracher son secret, met en oeuvre un de ses trucs : le domestique Formann, qui est un agent déguise, renverse dans la cuisine une lampe à pétrole; au cri de : au feu ! Miss Brent se précipite vers un des sièges du salon. Sherlock est fixé : en un tour de main il fait sauter l'étoffe du fauteuil et saisit le paquet de lettres. Mais, au moment de l'emporter, pris d'un scrupule assez peu compréhensible chez un policier, à moins qu'il ne cache un stratagème, il restitue son larcin à Alice Brent, en présence des Orlebar, Puis s'adressant à ceux-ci : « Souvenez-vous, leur dit-il, qu'en toute circonstance et au moment méme où cette jeune fille aura besoin de moi, je serai là. » II sort. Les Orlebar se hâtent vers la chambre d'Alice Brent, lorsque, au sommet de l'escalier qu'ils gravissent, appareil de nouveau Sherlock, sans qu'on puisse savoir par quel trou de serrure ou quelle fente du plancher s'est glissé cet homme diabolique.

Les Orlebar ne sont pas de taille à lutter avec Sherlock Holmes. C'est pourquoi, pour mener à bien leur entreprise, ils ont recours au professeur Moriarty.

Étrange et captivante figure que celle du professeur Moriarty. Sublime peut-être si la peinture eût tenté Dostoiewski! C'est le Napoléon du crime. Un souterrain, dont les abords sont défendus par d'ingénieuses machineries, l'abrite au coeur même de la cité. De là, servi par les réprouvés qui sont ses esclaves, invisible aux yeux profanes, il organise dans le monde entier le vol et l'assassinat et fait mouvoir l'innombrable armée du crime sur la surface terrestre. La police officielle, dès qu'elle se trouve aux prises avec Moriarty, abandonne la partie. Un seul homme s'est trouvé pour le mettre en échec, c'est Sherlock Holmes. Aussi a-t-il juré sa perte. L'affaire des lettres va lui fournir une nouvelle occasion d'affronter son rival. Il la saisit avec joie.

Le troisième acte nous transporte chez Sherlock Holmes. C'est le meilleur de la pièce. M. Gémier l'emplit tout entier. Il y développe son personnage avec une sûreté, une ampleur, un pittoresque, un goût vraiment admirables. Son moindre geste nous renseigne sur la pensée toujours active dans le cerveau du détective. Et cette pensée devient la péripétie méme du drame qui se relève d'autant à nos yeux... A certains indices, Sherlock a reconnu la main de Moriarty. Il se tient sur ses gardes. Il flaire son ennemi aux alentours. Successivement ses domestiques, ses familiers ont été appelés au dehors par des incidents divers qu'il juge inquiétants. Le voici seul, aux aguets. Il bourre sa pipe, surveille la rue, se promène de long en large, sifflote, s'arrête, réfléchit. Son attention ne se relâche pas un instant. On dirait d'un instrument merveilleusement accordé et dont les cordes, tendues à se rompre, rendent un son juste au moindre attouchement. On sent que l'homme est près à tout, que rien ne le surprendra. On croit deviner aux inflexions de ses attitudes tout ce qui se passe au dehors, et que le danger se rapproche. Tout à coup Sherlock saisit un revolver, le charge, s'adossai la muraille, surveille du même coup d'oeil toutes les entrées de cabinet. Une porte s'ouvre : Moriarty parait.

Il faudrait conter par le menu la scène suivante pendent laquelle les ennemis, assis face à face, s'observent, se mesurent, se raillent, se délient, — et traitent ensemble leurs petites affaires sous la menace du revolver. Quand, enfin, la vigilance de Sherlock ayant paru se relâcher, Moriarty braque son arme et en presse la détente, le barillet est vide. Sherlock jette, en souriant, les cartouches qu'il a subtilisées, dans le chapeau du bandit.

Et c'est ainsi que nous verrons jusqu'à la fin notre sympathique héros échappe, tous les dangers, se tirer de tous les mauvais pas. Il est vrai que dans les stratagèmes dont il s'avise, Moriarty ne fait pas preuve d'un grand génie. Mais qu'importe! Ne faisons pas les difficiles. Et qu'aurions-nous à faire ici de vraisemblance...? Au quatrième tableau, Sherlock Holmes se trouve pincé au fond d'un caveau par trois gaillards résolus qui manifestent l'intention de le lier à une poutre et puis de l'as-phyxier par le gaz. Sherlock brise une lampe qui seule éclaire la scène et, dépistant les assassins par la lueur d'un cigare qu'on voit se mouvoir et s'agiter dans l'obscurité complète,Il se sauve, emportant dans ses bras Miss firent qu'Orlebar avait capturée... Ce n'est pas tout : le dernier tableau nous réserve un divertis-sement plus surprenant encore. Dans son salon, qui est éclairé, Sherlock s'est endormi devant la fenetre. En face, au premier étage d'un immeuble vacant, Moriarty s'est embusqué avec un fusil il vise tout à son aise, il tire,— au mente instant Sherlock surgit derrière son dos et l'arrête, au nom du roi. Le Sherlock endormi était un mannequin !

J'ai omis de mentionner, au cours de ces péripéties, que Sherlock Holmes s'est épris de Miss Alice Brent, qu'elle l'aime en retour, lui restitue les lettres, et qu'ils s'épouseront. Cela n'a pas, d'ailleurs, grande importance, et l'on se demande méme de quelle utilité était cette amourette si peu en rapport avec le caractère et les dispositions du héros. Elle n'ajoute guère de saveur aux merveilleuses aventures qui, tout un soir, nous tinrent en haleine et nous firent repasser par les meilleures émotions de notre enfance.

La pièce est mise en scène avec une science accomplie : elle apparais précise, alerte, colorée. L'interprétation n'est pas moins parfaite. M. Gémier reste au-dessus de tout éloge : il est un incomparable inventeur de personnages dramatiques. A côté de lui M. Harry Baur, un jeune acteur dont nous sommes en droit d'attendre beaucoup, a composé le professeur Moriarty avec une frappante autorité. On croit faire assez sa louange en disant qu'il n'a point paru éclipsé par le « patron ». M. Charlier, en Orlebar, est une canaille suffisamment convaincue. M. Saillard prête une aimable aisance à la silhouette du docteur Watson. MM. Maxence (comte Stahlberg), et G. Flateau (baron d'Altenheim), ont un bon accent tudesque, et MM. Houry, Jarrier, Dalleu, Terrier et Maural, apportent de l'esprit, du pittoresque et du mouvement... rôle de second plan.

Mademoiselle Yvonne de Bray, sous les traits un peu vagues d'Alice Brent, est charmante de modestie, de grâce et de naturel. Enfin, Mademoiselle Renée Cogé joue Madame Orlebar avec force, et Mademoiselle Mad. Farna marque de vérité la physionomie de la femme de chambre Thérèse.

J. COPEAU.